Sommaires exécutifs 23 août 2022

Pourquoi la Cour supérieure du Québec a-t-elle suspendu certains articles de la Loi 96?

Le 12 août dernier, une première décision attendue de la Cour supérieure du Québec a suspendu l’application de deux articles de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « Loi  ») qui exigeaient une traduction française certifiée pour tout dépôt d’acte de procédure en anglais.

Dans Mitchell c. Procureur général du Québec, la Cour supérieure, sous la plume de la juge Chantal Corriveau, accorde une suspension de l’application des articles 5 et 119 de la Loi.

Ces dispositions exigent que les « personnes morales » (entreprises, organismes, associations et institutions) qui déposent des actes de procédures rédigés en anglais y joignent une traduction française certifiée par un traducteur agréé. Ces dispositions ont été attaquées par différents demandeurs comme étant contraires à la Loi constitutionnelle de 1867. En attendant que le sort des articles 5 et 119 soit tranché au fond, ces mêmes demandeurs ont demandé, avec succès, que leur application soit suspendue jusqu’au jugement final.

Une loi qui a fait parler d’elle

La Loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le 24 mai 2022 et a reçu la sanction royale le 1er juin 2022.

Comme son préambule l’explique, la Loi « affirme que la seule langue officielle du Québec est le français ». Elle « affirme également que le français est la langue commune de la nation québécoise ». La Loi est ainsi une réforme de la Charte de la langue française (la « Charte »).

La Loi vient créer la nouvelle fonction ministérielle du ministre de la Langue française et prévoit la nomination d’un sous-ministre de la Langue française. Elle prévoit aussi la nomination d’un commissaire à la langue française dont la mission sera d’enquêter sur la francisation des personnes morales qui opèrent au Québec.

Par ailleurs, la Loi impose des sanctions pénales pour des infractions à la Charte. Chaque jour d’infraction constitue une infraction distincte et des peines plus sévères s’appliquent en cas de récidives.

La portée de la Loi est vaste. Outre les relations entre l’État et les personnes, elle affecte les milieux commercial et immobilier en plus des secteurs de l’emploi, des assurances, de l’immigration, de la santé et de l’éducation. Elle entraîne également des conséquences procédurales importantes.

Plus particulièrement, l’article 5 de la Loi (qui modifie l’article 9 de la Charte) énonce que « [t]out acte de procédure d’une personne morale rédigé en anglais devra être accompagné d’une traduction française certifiée par un traducteur agréé. Les frais de traduction seront assumés par la personne morale ». Quant à l’article 119 (qui modifie l’article 208.6 de la Charte), il stipule que « [l]’acte de procédure auquel n’est pas joint, en contravention à l’article 9, une traduction certifiée par un traducteur agréé ne peut être déposé [...] ».

Un premier revers devant la Cour supérieure du Québec

Différents demandeurs ont intenté un pourvoi en contrôle judiciaire afin d’invalider les articles 5 et 119 de la Loi, qui seraient contraire à la Loi constitutionnelle de 1867, notamment l’article 133 qui prévoit que « [d]ans toute plaidoirie ou pièce de procédure [...] il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou l’autre de ces langues [le français ou l’anglais] ».

En attendant le jugement au fond, les demandeurs ont présenté une demande de sursis par laquelle ils demandent la suspension durant l’instance des articles 5 et 119 de la Loi.

Pour obtenir la suspension de l’application d’un texte législatif, il est nécessaire pour un défendeur de démontrer :

  • l’existence d’une question sérieuse à juger;
  • le fait qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis est refusé; et
  • le fait que, selon la prépondérance des inconvénients, son préjudice dépasse celui de l’autre partie.

La Cour supérieure, sous la plume de la juge Chantal Corriveau, est d’avis que chacun de ces critères est satisfait.

Premièrement, elle conclut que les arguments constitutionnels des demandeurs ne sont pas frivoles ou dilatoires et sont suffisamment sérieux, notamment « [l]’argument selon lequel les dispositions contestées enfreignent le principe de l’égalité réelle du français et de l’anglais, en ce que des obstacles additionnels à l’accès aux tribunaux seraient imposés aux personnes morales d’expression anglaise et à leurs avocats ».

Deuxièmement, la Cour supérieure conclut que la preuve des demandeurs met en doute la disponibilité, l’efficacité et le caractère abordable des services de traduction. Cette preuve permet aussi « d’établir la probabilité d’un préjudice irréparable au moins ce qui concerne le cas des procédures à caractère urgent ou accéléré », et ce, « en matière d’ordonnance de sauvegarde, d’injonction provisoire ou interlocutoire, de saisie avant jugement, de demande de type Anton Piller [...] ».

La Loi suscite des préoccupations quant à l’accès à la justice, surtout en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises qui désirent exercer leurs droits en anglais.

 Les dispositions attaquées par la demande causeront un préjudice irréparable pour certaines personnes morales et leurs représentants de langue anglaise 

Hon. Chantal Corriveau dans l’affaire  Mitchell c. Procureur général du Québec

Enfin, la Cour supérieure conclut que la balance des inconvénients penche en faveur des demandeurs considérant que les articles 5 et 119 de la Loi « risquent d’entrainer un obstacle qui peut s’avérer insurmontable équivalent à un déni de justice notamment comme discuté antérieurement dans le cas des procédures urgentes ».

Une affaire à suivre de près

Bien que la saga judiciaire entourant la Loi ne soit qu’à ses débuts, l’entrée en vigueur de certains de ses articles est déjà suspendue, et ce, nonobstant appel. La Cour supérieure entend procéder sur le fond du dossier dès novembre 2022. Dans l’intervalle, les justiciables corporatifs anglophones n’auront pas à faire traduire leurs actes de procédures en français – du moins, pour le moment.

Pour toute question concernant les impacts de cette décision sur vos affaires juridiques, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe en litige qui se fera un plaisir de vous conseiller.

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