Sommaires exécutifs 30 juil. 2020

La décision Hengyun International Investment Commerce inc. : une nouvelle approche des relations locateur-locataire découlant de la pandémie

Le 16 juillet 2020, dans le cadre de l’affaire Hengyun International Investment Commerce inc. c. 9368-7614 Québec inc., la Cour supérieure du Québec présidée par l’honorable juge Peter Kalichman, J.C.S., a apporté ce qui nous semble être une nouvelle interprétation des effets des clauses de force majeure dans un bail commercial. 

Sous réserve d’être révisée en appel ou distinguée, cette décision retient en effet une nouvelle approche face aux relations entre un locateur et son locataire, et ce, dans le contexte où le contrat les liant comporte des dispositions qui exonèrent le locateur de son défaut d’exécuter certaines obligations en cas de force majeure, notamment la jouissance paisible des lieux loués, et d’autres qui obligent le locataire de continuer à payer sans délai son loyer et les frais afférents.

La défense de 9368-7614 Québec inc.(« Québec inc. » ou le « Locataire ») alléguant qu’elle était exonérée de payer son loyer pendant la période durant laquelle son entreprise a été fermée en raison des décrets gouvernementaux a été accueillie. Toutefois, la décision de la Cour supérieure du Québec (le « Tribunal ») ne repose pas sur les arguments soumis par le Locataire. Le Tribunal apporte une nouvelle interprétation d’office des effets de la force majeure dans l’économie du contrat en contexte de pandémie et des fermetures ordonnées par le gouvernement en plus d’analyser l’étendue de la clause de force majeure intervenue entre les parties et d’indiquer en quoi celle-ci est inopérante dans le cadre spécifique de cette affaire.

Le contexte

Un bail d’une durée de cinq ans est intervenu entre Hengyun International Investment Commerce inc. (le « Locateur ») et VitalMaxx Fitness Centre inc. (« VitalMaxx ») le 3 novembre 2017 (le « Bail »), pour l’exploitation d’une salle d’entraînement (le « Gym »). Québec inc. prétend pour sa part que le Bail lui a été transféré suivant la faillite de VitalMaxx.

Le Locateur demande la résiliation du Bail ainsi que le paiement de sommes dues. Québec inc. prétend que le Bail ne peut pas être résilié, qu’elle n’a pas à payer le loyer en entier et que le Locateur lui est redevable pour des dommages qu’elle aurait subis au fil des ans en raison notamment d’une infiltration d’eau ainsi que des problèmes de climatisation des lieux loués.

Québec inc. a reçu un prêt gouvernemental dans le cadre de la pandémie de la COVID-19 d’environ 40 000 $, mais ne l’aurait pas utilisé pour payer le loyer.

Le Bail contient une clause concernant la force majeure qui se lit comme suit :

« 13.03 Unavoidable delay

Notwithstanding anything in this Lease to the contrary, if the Landlord or the Tenant is delayed or hindered in or prevented from the performance of any term, obligation or act required hereunder by reason of superior force, strikes, lockouts, labour troubles, riots, accidents, inability to procure materials, restrictive governmental rules, regulations or orders, bankruptcy of contractors, or any other event whether of the foregoing nature or not which is beyond the reasonable control of the Landlord or the Tenant, as the case may be, then the performance of such term or obligation or act is excused for the period of the delay, and the party so delayed shall be entitled to perform such term, obligation or act within the appropriate time period after the expiration of such delay, without being liable in damages to the other.

However, the provisions of this Section 13.03 shall not operate to excuse the Tenant from the prompt payment of the Base Rent or Additional Rent or any other payments required by this Lease.(underlined by the Court) »

Nous constatons qu’aux termes de cette clause, le Locataire doit payer le loyer de base, le loyer additionnel et tout autre paiement requis en vertu du Bail, et ce, même si le Locateur est empêché d’exécuter l’une de ses obligations en raison de force majeure.

10 éléments à retenir de cette décision

Sans effectuer une revue complète de toutes les questions en litige, voici les points saillants découlant de cette décision.

1. Le Tribunal considère que la pandémie de la COVID-19 et les décrets gouvernementaux ordonnant la fermeture des entreprises n’ayant pas d’activités jugées « essentielles » qui y sont associée, ce qui inclut les salles d’entraînement, constituent un événement imprévisible au sens de l’article 1470 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »).

2. Québec inc. a plaidé ne pas pouvoir rencontrer ses obligations financières en vertu du bail, dont le paiement du loyer, compte tenu des décrets gouvernementaux l’ayant empêché de générer les revenus nécessaires pour y parvenir. Le Tribunal a jugé cette interprétation trop subjective et a déterminé que la capacité de payer du locataire n’est pas pertinente afin de déterminer s’il y a force majeure.

3. Selon le Tribunal, une évaluation objective du critère d’irrésistibilité est requise afin de déterminer s’il s’agit d’un événement de force majeure. Il faut dès lors déterminer si le Locateur est quant à lui empêché de fournir la jouissance paisible des lieux loués, notamment selon l’article 1854 C.c.Q., tout en considérant que le Bail prévoit spécifiquement une utilisation des lieux loués limitée à l’exploitation du Gym, soit l’une des activités interdites par les décrets gouvernementaux.

4. Le Tribunal mentionne également en orbiter que les décrets gouvernementaux ordonnant la fermeture des entreprises n’exploitant pas d’activités reconnues comme « essentielles » peuvent être considérés comme un trouble à la pleine jouissance des lieux loués garantie selon l’article 1858 C.c.Q.

5. Le Tribunal considère qu’en raison desdits décrets, le Locateur ne pouvait exécuter son obligation principale, soit celle de fournir à Québec inc. la jouissance paisible des lieux loués. Ce faisant, il ne pouvait pas insister auprès du Locataire pour obtenir le paiement du loyer en vertu de l’article 1693 C.c.Q.

6. Le Tribunal reconnaît que l’article 1854 C.c.Q. n’est pas d’ordre public et que les parties peuvent y déroger ou en moduler les effets contractuellement. Bien que le Locateur plaide que c’est justement ce que l’article 13.03 du Bail prévoit, le Tribunal n’y adhère pas. Selon le Tribunal, l’article du Bail traitant des circonstances de force majeure prévoit l’exécution retardée des certaines obligations, et non pas l’inexécution des obligations. Selon le libellé de cet article 13.03, la partie incapable d'exécuter une obligation n'est excusée que pour la période du retard et a le droit de l'exécuter ultérieurement.

7. Dans l’éventualité où l’interprétation de l’application de cet article serait erronée, le Tribunal précise que, l’impossibilité étant totale, une interprétation stricte de l’article 13.03 aurait pour effet d’exonérer complètement le Locateur de son obligation principale de fournir la jouissance paisible des lieux, obligation qui en est une de résultat. Or, le Tribunal est d’opinion qu’une telle clause ayant pour effet d’éliminer totalement la prestation de l’obligation principale du Locateur de fournir la pleine jouissance des lieux loués est inopérante.

8. Dans les circonstances et considérant que l’exploitation d’une salle d’entraînement est prohibée par décret, le Tribunal est d’opinion que l’impossibilité totale d’avoir la jouissance paisible des lieux constitue un événement de force majeure, réduisant ainsi proportionnellement le loyer payable pour les mois de mars et avril 2020.

9. Dans l’éventualité où le montant du loyer impayé n’est pas égal ou supérieur à ce dont le Locataire peut être exonéré, ce dernier demeure en défaut pour la portion correspondante non acquittée.

10. Le Locateur n’a pas allégué la résiliation extrajudiciaire prévue au Bail et a plutôt demandé une résiliation judiciaire. Le Locateur devait donc prouver, en sus d’un défaut aux termes du Bail, un préjudice sérieux pour obtenir la résiliation du Bail, fardeau dont il ne s’est pas acquitté dans le cadre de cette affaire.

Cette décision nous apparaît particulièrement intéressante puisque, pour évaluer s’il s’agit d’un événement imprévisible et irrésistible constituant une force majeure, le Tribunal base sa décision sur les obligations du Locateur, et non pas celles du Locataire, et ce, même si c’est ce dernier qui est débiteur du paiement du loyer.

Selon l’article 1683(2) C.c.Q., le fardeau de la preuve d’une force majeure incombe au débiteur de l’obligation. Or et dans le cadre de la Décision, bien que la force majeure fût invoquée par le Locataire, le Tribunal a décidé qu’une interprétation objective de la situation imposait plutôt au Locateur de démontrer qu’il pouvait être libéré de la prestation de son obligation principale, soit celle de fournir la jouissance paisible des lieux, et que le Locataire était conséquemment libéré de son obligation corrélative du paiement du loyer. C’est sous l’angle de l’obligation de procurer au Locataire la jouissance paisible des lieux loués que la force majeure est analysée. De surcroît, malgré une clause spécifique au Bail, l’exercice effectué par le Tribunal semble reposer sur une évaluation de l’économie du contrat et des effets entre les parties plutôt que sur une évaluation du fardeau de la preuve de la force majeure incombant à la partie qui demande une exonération de l’obligation de payer son loyer. Nous comprenons que c’est l’effet ultime de la clause contractuelle et de la situation qui a guidé le Tribunal dans son évaluation d’office dite objective.

Il est également important de noter que le tribunal conclut que la capacité de payer du Locataire et l’octroi d’une aide gouvernementale ne sont pas pertinents dans l’évaluation de la force majeure et de ses effets entre les parties.

Par ailleurs, certains commentaires découlant de la décision valent la peine d’être mentionnés :

  • Le Tribunal exonère complètement le paiement du loyer pendant la période d’impossibilité, et ce, sans précision quant à la portion du loyer qui aurait été payable malgré l’accès restreint aux lieux loués.
  • Le Tribunal reconnaît la possibilité d’une résiliation extrajudiciaire du Bail si une clause à cet effet est prévue et s’il y a un défaut, notamment lorsque le loyer a été retenu en totalité alors que seule une portion pouvait être déduite. Dans un tel scénario et si le bail le prévoit contractuellement, le locataire pourrait être en défaut et le locateur pourrait alléguer la résiliation extrajudiciaire du bail, sans avoir à prouver un préjudice sérieux.

En conclusion, rappelons que chaque dossier demeure un cas d’espèce et doit être analysé à la lumière des circonstances particulières qui caractérisent la relation entre les parties et le libellé du bail. Notre équipe spécialisée en baux commerciaux suivra cette décision de près et demeure disponible pour vous conseiller et vous accompagner dans les enjeux auxquels vous faites face.

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