Sommaires exécutifs 29 mai 2020
Infractions pénales dans l’industrie de la construction : les conséquences cachées d’un plaidoyer de culpabilité et les bonnes pratiques
La construction est largement réglementée et plusieurs secteurs de l’industrie comportent des risques de responsabilité pénale. Depuis le début des années 2010, les conséquences liées à des plaidoyers portant sur des infractions pénales sont d’ailleurs de plus en plus lourdes.
Du côté financier, les amendes minimales liées aux infractions ont augmenté considérablement. Par exemple, l’amende relative à l’exercice de la fonction d’entrepreneur sans détenir la licence appropriée est près de 25 fois plus élevée aujourd’hui de ce qu’elle était en 2010.
Toutefois, les conséquences des condamnations pénales ne sont pas uniquement monétaires, mais peuvent être bien plus graves et aller jusqu’à créer de véritables barrières pour les opérations d’une entreprise, notamment en matière de licences d’entrepreneur en construction et en matière de contrats publics. Les entrepreneurs en construction, les professionnels et les donneurs d’ouvrage sont donc soumis à des enjeux de gouvernance et de conformité non négligeables.
Dans ce contexte, il importe de se méfier des poursuites pénales même si, a priori, elles peuvent sembler ne soulever que des enjeux limités pour l’entreprise. Aucun plaidoyer de culpabilité ne devrait être enregistré sans une analyse préalable des conséquences.
Les conséquences cachées d’un plaidoyer de culpabilité
Le cas des licences d’entrepreneur en construction
Certaines infractions peuvent mener à la suspension ou l’annulation de la licence émise en vertu de la Loi sur le bâtiment. Il s’agit notamment d’infractions en matière de protection du consommateur, de relations du travail, de formation professionnelle et de gestion de main-d’œuvre ou de santé et de sécurité au travail.
De plus, le défaut de dénoncer une déclaration de culpabilité à une infraction, même de moindre importance, lors d’une déclaration à la Régie du bâtiment du Québec (« RBQ ») soumise dans le cadre d’une demande d’obtention ou de renouvellement d’une licence pourrait être considéré comme une fausse déclaration et pourrait entraîner de pénibles conséquences.
En effet, la loi prévoit qu’une fausse déclaration lors d’une demande d’obtention ou de renouvellement de licence est passible d’amendes pouvant aller jusqu’à près de 15 000 $ dans le cas d’un individu et près de 45 000 $ dans le cas d’une personne morale. Dans le cas d’une fausse déclaration par une personne morale, les conséquences risquent même de se dédoubler, puisque le dirigeant de la personne morale qui signe la fausse déclaration pourra, en plus de la personne morale, être personnellement déclaré coupable. À toutes ces conséquences financières, s’ajoute également le risque d’annulation ou de suspension de la licence d’entrepreneur en construction.
Dans le cas des contrats publics
Le fait d’être déclaré coupable d’une infraction peut, selon le cas, conduire à l’inadmissibilité totale à tout contrat public, peu importe la nature et la valeur du contrat. Une déclaration de culpabilité à une infraction, et parfois même le seul fait de faire face à une poursuite pénale ou criminelle, pourrait conduire au refus d’une demande d’autorisation pour contracter avec un organisme public, laquelle autorisation est requise pour certains contrats, notamment les contrats de construction d’une valeur de 5 M$ ou plus, ou encore à la révocation ou au refus de renouveler une telle autorisation lorsqu’elle a déjà été émise. Nous rappelons que l’émission d’une telle autorisation relève du pouvoir discrétion de l’Autorité des marchés publics (« AMP ») et par conséquent plusieurs facteurs peuvent être considérés.
En effet, la Loi sur les contrats des organismes publics prévoit toute une série d’infractions pour lesquelles une déclaration de culpabilité constitue un point de non-retour pour l’entreprise, puisqu’elles conduisent automatiquement à l’inadmissibilité de l’entreprise à tout contrat public pour une durée de cinq ans et à l’inscription de l’entreprise au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (« RENA »).
Ces infractions qui conduisent à l’inscription au RENA sont de différentes natures et leur liste est relativement longue1. Pour l’industrie de la construction, on peut penser, pour ne nommer que celles-là, aux infractions :
- qui relèvent des lois sur l’impôt,
- qui proviennent du droit municipal portant sur les appels d’offres,
- en matière de contrats publics,
- qui concernent les lois électorales et
- en matière de relations du travail, de formation professionnelle et de gestion de main-d’œuvre.
Toute poursuite, et à plus forte raison encore, toute poursuite touchant à l’une des matières susmentionnées doit donc être analysée avec le plus grand soin et aucun plaidoyer de culpabilité ne devrait être enregistré en considérant seulement l’amende à payer.
Qui plus est, les entreprises doivent savoir qu’en matière de contrats publics, c’est ultimement toute poursuite pénale ou criminelle qui pourrait mettre en péril une demande d’autorisation pour contracter avec un organisme public ou qui pourrait justifier la révocation d’une telle autorisation ou le refus de la renouveler. Les administrateurs, les dirigeants et les actionnaires de l’entreprise doivent eux aussi se méfier des poursuites pénales et criminelles engagées à leur endroit, puisqu’elles pourraient avoir des conséquences sur l’entreprise et constituer une barrière aux contrats publics.
Il existe d’ailleurs plusieurs autres conséquences en cas de plaidoyer de culpabilité à une infraction. À titre d’exemple, pensons au risque de se voir refuser une demande d’autorisation ministérielle à l’occasion de travaux mettant en cause la qualité de l’environnement, lorsque la personne ou la société qui demande l’autorisation a déjà été déclarée coupable d’une infraction en matière de protection de l’environnement.
Les entrepreneurs en construction, les professionnels et les donneurs d’ouvrage doivent donc mettre en place de bonnes pratiques, afin de diminuer les risques de condamnation et de bien documenter leurs dossiers d’infractions.
La défense de diligence raisonnable
Un grand nombre d’infractions pénales qui touchent l’industrie de la construction sont soumises à un régime de responsabilité stricte, c’est-à-dire que la partie poursuivante n’a pas à démontrer une intention coupable de la part de l’accusé (mens rea), mais uniquement à démontrer, hors de tout doute raisonnable, les éléments matériels de l’infraction reprochée (actus reus).
En contrepartie, l’accusé pourra toutefois se défendre d’une infraction de responsabilité stricte en présentant une défense de diligence raisonnable. Une défense de diligence raisonnable sera recevable si l’accusé avait pris toutes les précautions raisonnables pour éviter la commission de l’infraction. Dans le cadre d’une défense de diligence raisonnable, la conduite de l’accusé sera jugée de façon objective selon la norme de la personne raisonnable placée dans la même situation que l’accusé et selon la prudence, les connaissances et les aptitudes que cette personne raisonnable devrait avoir2.
La preuve de la diligence raisonnable devra être faite selon la balance des probabilités, c’est-à-dire que l’accusé devra établir qu’il est plus probable que moins probable qu’il ait manifesté un comportement raisonnablement diligent. Bien que la diligence raisonnable n’exige pas de l’accusé qu’il démontre un comportement parfait, il s’agit d’un critère assez restrictif, puisqu’il ne suffit pas d’invoquer que certaines mesures préventives ont été prises, mais bien que toutes les précautions raisonnables ont été mises en place pour empêcher la commission de l’infraction3.
6 mesures à mettre en place
Chaque cas est un cas d’espèce et le déploiement de la diligence raisonnable peut se faire en autant de manières qu’il existe de contextes pour une infraction pénale de responsabilité stricte dans le domaine de la construction.
L’objectif est de mettre en place des mesures afin de prévenir les infractions et de faire tout ce qui est nécessaire pour le bon fonctionnement des mesures préventives4. De façon générale, la jurisprudence a reconnu qu’une preuve de diligence raisonnable exige ce qui suit de la part d’une entreprise :
- 1. La présence de directives claires et appropriées transmises aux employés par un moyen de communication efficace;
- 2. La mise en place de systèmes d'application, de contrôle et de supervision des directives et des employés;
- 3. L'existence de programmes de formation spécialisée et d'entraînement du personnel;
- 4. L'utilisation et l'entretien d'équipements adéquats;
- 5. La mise sur pied de programme d'urgence, s'il y a lieu;
- 6. La possibilité de sanctions administratives graduées pour inciter les employés à respecter la loi et les directives5.
Exemple pratique
Un entrepreneur est poursuivi pour une infraction à la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Il fait enquête à l’interne, mais conclut qu’il n’a pas de grands moyens de défense à offrir. Afin de ne pas compliquer le dossier, il décide de plaider coupable et de payer l’amende réclamée.
Moins de 12 mois après l’enregistrement du plaidoyer de culpabilité contre l’entreprise, un des dirigeants prépare la déclaration annuelle à la RBQ pour la licence d’entrepreneur en construction. Une des questions du formulaire vise à savoir si l’entreprise a été déclarée coupable durant les 12 derniers mois à certaines infractions listées dans le formulaire. Le dirigeant n’a pas personnellement connaissance de déclarations de culpabilité aux infractions énumérées au formulaire, mais il prend le soin de se renseigner auprès d’un employé qui tient un registre des poursuites engagées contre l’entreprise. Malheureusement, le registre n’est pas à jour. Le dirigeant conclut donc qu’il n’y a rien à déclarer et indique au formulaire de la RBQ qu’il n’y a pas eu de déclaration de culpabilité dans les 12 mois précédents. Subséquemment, l’entreprise et le dirigeant reçoivent chacun un avis d’infraction réclamant le paiement d’une amende de chacun d’eux pour fausse déclaration.
Dans une décision portant sur des questions similaires, bien que la trame factuelle différait, la Cour du Québec a conclu que l’entrepreneur n’avait pas fait la preuve de sa diligence raisonnable en ces termes6 : « La tenue du fichier dans son état ne démontre pas un effort raisonnable pour éviter la commission d’une infraction. Il était incomplet. Sa tenue était l’affaire d’une seule personne. Il ne faisait l’objet d’aucune vérification subséquente. Le préparateur de la déclaration s’y fiait sans restriction. »
8 bonnes pratiques à adopter en matière de gestion des dossiers pénaux
Dans un cas pareil, que fallait-il faire au moment de préparer la déclaration annuelle à la RBQ? L’entreprise tenait déjà un fichier répertoriant les poursuites engagées contre elle, n’était-ce pas suffisant pour établir une preuve de diligence raisonnable et démontrer que l’entreprise agissait afin de prévenir les fausses déclarations?
Par ailleurs, dans le cadre d’une demande afin d’être autorisé à contracter avec un organisme public ou dans le cadre d’une demande de renouvellement d’une telle autorisation, quelles sont les obligations de divulgation de l’entreprise au sujet de ses dossiers d’infractions? Est-ce que toutes les infractions reprochées à l’entreprise doivent être divulguées? Le cas échéant, comment un fichier répertoriant les poursuites engagées contre l’entreprise peut-il être mis en place, comment doit-il être géré et que doit-il contenir?
Sous l’angle de la défense de diligence raisonnable à l’encontre d’une poursuite pour fausse déclaration, les pratiques suivantes devraient notamment être considérées :
1. Identification d’une personne-ressource responsable des dossiers d’infractions de l’entreprise et communication à tous les employés de son identité;
2. Identification d’un dirigeant responsable de superviser la personne-ressource;
3. Mise en place d’une politique requérant de tous les employés qu’ils rapportent à la personne-ressource l’existence de tout constat d’infraction ou de tout risque concret d’infraction et informant les employés au sujet de la possibilité de sanctions administratives en cas de non-respect de leur obligation de divulgation;
4. Mise en place d’une politique exigeant la conduite d’une enquête interne pour tout avis d’infraction ou tout risque concret d’infractions;
5. Création d’un registre répertoriant tous les avis d’infraction émis contre l’entreprise. Ce registre devrait contenir les informations suivantes :
- numéro du constat d’infraction
- détails de l’infraction reprochée
- date de l’infraction
- lieu de l’infraction
- projet concerné
- information au sujet du plaidoyer enregistré (coupable ou non coupable)
- numéro dossier de cour
- identité de l’avocat mandaté pour défendre l’entreprise, le cas échéant
- information sur la demande de divulgation de la preuve soumise à la partie poursuivante
- notes d’enquête interne sur l’événement
- notes sur les recommandations de l’avocat, le cas échéant
- dates de cour pour la contestation, le cas échéant
- date du jugement
6. Gestion du registre par la personne-ressource et par le dirigeant responsable de sa supervision;
7. Contrôles réguliers par le dirigeant des travaux relatifs au registre;
8. Formation donnée à la personne-ressource sur le fonctionnement général d’une défense et l’utilisation des plumitifs, notamment aux fins de vérifier le contenu du registre;
Par ailleurs, en ce qui concerne l’obligation de divulgation d’une entreprise dans le cadre d’une demande d’autorisation de contracter avec un organisme public ou dans le cadre du renouvellement d’une telle autorisation, l’entreprise doit divulguer à l’AMP l’existence de toute poursuite pénale ou criminelle à son endroit et de toute déclaration de culpabilité, et ce, lorsque l’événement date de moins de cinq ans7.
Pour toute entreprise entretenant des relations avec l’AMP en lien avec une autorisation de contracter avec les organismes publics, la mise en place d’un registre d’infractions constitue donc une bonne pratique. L’entreprise devrait aussi sensibiliser ses dirigeants, administrateurs et actionnaires concernant leurs propres obligations de divulgations envers l’AMP et communiquer clairement à ces derniers leurs obligations à cet égard.
Enfin, il est également primordial que l’entreprise qui reçoit un constat d’infraction s’assure de faire l’analyse des conséquences liées à un plaidoyer de culpabilité ainsi que l’analyse des faits ayant mené à ce constat.
Depuis 25 ans, la mission de BCF est d’appuyer les entreprises d’ici. Nous connaissons les enjeux auxquels vous faites face et notre équipe est disponible pour vous aider à utiliser les ressources à votre disposition. Pour toute question en matière de droit pénal, n’hésitez pas à consulter nos experts :
- Geneviève Beaudin
- Vicky Berthiaume
- Anne-Frédérique Bourret
- Michel Brisebois
- Stéphan Charles-Grenon
- Michel Décary
- Stefania Fratianni
- Julie Gaudreault-Martel
- Vanessa Gregorio
- Marc-André Groulx
- Nicolas Guimond
- Simon-Pierre Hébert
- Isabelle Landry
- Nathalie Lavoie
- Simon Pelletier
- Jean Piette
- Nicole Platanitis
- André Ryan
- Mélanie Sauriol
[1] Les infractions pour lesquelles une déclaration de culpabilité conduit automatiquement à l’inscription au RENA sont celles identifiées à l’annexe I de la Loi sur les contrats des organismes publics.
[2] Réna ÉMONDE et Caroline MORIN, Droit pénal : infractions, moyens de défense et peine, Titre 1 – Les infractions, Chapitre 1 – Les infractions réglementaires fédérales et provinciales, Collection de droit 2019-2020
[3] R. c. Sault Ste. Marie, 1978 CanLII 11, page 1326
[4] R. c. Sault Ste. Marie, 1978 CanLII 11, page 1331; Groupe Récrégestion inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2020 QCCS 163, cité par Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 9299-0522 Québec inc., 2020 QCCS 654
[5] Procureur général du Québec c. Dépan-Escompte Couche-Tard, 2003 CanLII 9343 (C.Q.)
[6] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Béton Provincial ltée, 2018 QCCQ 3204, par. 17
[7] Art. 21.28 de la Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ c C-65.1. En plus de l’existence de poursuites ou de déclarations de culpabilité, l’entreprise doit aussi divulguer l’existence d’une décision de suspension de travaux exécutoire en vertu de l’art. 7.8 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction et les condamnations par jugement final à payer une réclamation fondée sur l’art. 81 de cette loi, lorsque ces événements sont survenus dans les deux dernières années.
Inscrivez-vous à nos communications et bénéficiez de notre connaissance du marché pour déceler de nouvelles occasions d’affaires, vous renseigner sur les meilleures pratiques innovantes et recevoir les plus récents développements. Découvrez en primeur notre intelligence d’affaires et nos événements.