Sommaires exécutifs 9 juin 2023

Clauses de non-respect des délais dans les contrats de construction : quand sont-elles applicables?

Par

Julien Tricart, Sarah Leclerc

Dans un contexte de grands chantiers, nombreux sont les contrats de construction imposant à l’entrepreneur général responsable des travaux des pénalités importantes en cas de non-respect des échéanciers convenus.

En effet, la gestion et le respect des délais est l’une des obligations centrales au contrat entre l’entrepreneur et le donneur d’ouvrage. Or, le respect de cette obligation est tributaire de nombreux aléas, notamment :

  • L’exactitude des informations fournies par le donneur d’ouvrage;
  • Les imprévus dans le déroulement des travaux; et
  • L’exécution adéquate par les autres intervenants du chantier de leurs propres obligations.

Le non-respect des échéanciers est susceptible d’impacter significativement le donneur d’ouvrage. Ainsi, bon nombre d’entre eux choisissent de prévoir un mécanisme contractuel afin de faciliter l’indemnisation en cas de non-respect des délais.

Bien que ce manquement puisse faire l’objet d’une réclamation par le donneur d’ouvrage sans que cela soit explicitement prévu au contrat, il n'est pas rare de voir des clauses de pénalités pour retard dans les contrats de construction. Ces dernières anticipent également l’évaluation des dommages pouvant être réclamés en cas de non-respect. De telles clauses sont d’ailleurs spécifiquement prévues par la loi sous l’appellation de « clause pénale ».

Une clause pénale est un outil permettant de prévoir contractuellement à l’avance l’indemnisation financière à laquelle une partie aura droit en cas de non-respect des obligations de son cocontractant (p.ex. le non-respect des délais). Bien qu’elle ne soit pas à l’abri d’une contestation judiciaire et qu’elle puisse être tempérée par les tribunaux, la clause pénale pour non-respect des délais peut faciliter la réclamation de tels dommages par le donneur d’ouvrage, notamment en fixant contractuellement à l’avance entre les parties la valeur de ceux-ci.

À ce titre, la Cour d’appel du Québec mentionne toutefois que l’existence d’une clause pénale ne permet pas toujours la réclamation des dommages y étant prévus. En effet, les tribunaux peuvent exiger une preuve prima facie (à sa face même)de l’existence d’un préjudice subi par la partie qui invoque la clause pénale[1], et refuser son application si l’inexécution du cocontractant en défaut ne cause pas préjudice à la partie qui invoque l’application de celle-ci.

Limites à la clause pénale de non-respect des délais : illustrations récentes

En décembre 2022, la Cour d’appel du Québec a tranché que la Ville de Québec ne pouvait réclamer les sommes prévues à une clause pénale pour non-respect des délais à l’entrepreneur général responsable des travaux de construction d’un projet d’aqueduc nécessitant la réalisation d’une passerelle autoportante[2].

Selon la Cour, la Ville de Québec a joué un rôle important dans le retard de la livraison des travaux en raison d’un manquement à son obligation d’information, notamment dû à un défaut de décrire suffisamment l’ouvrage projeté dans ses documents d’appel d’offres, ce qui a eu pour effet d’induire les intervenants du projet en erreur quant à la complexité et aux coûts réels de celui-ci.

Effectivement, au moment du lancement de l’appel d’offres, la conception de l’ouvrage n’était pas encore finalisée et les soumissionnaires ont dû composer avec la conception et la construction d’un ouvrage imprévisible. Dans la mesure où la Ville de Québec s’était adjointe d’experts en matière de conception de plans et devis préliminaires et définitifs du projet, la Cour d’appel considère que les soumissionnaires pouvaient se fier à la ville quant à la faisabilité du projet et aux informations obtenues.

Conséquemment, le tribunal estime que les différents intervenants ont été privés d’informations déterminantes dans le cadre de la préparation de leurs soumissions et que la Ville de Québec ne pouvait ainsi leur imputer la responsabilité du non-respect de l’échéancier et de l’augmentation des coûts. Vu son rôle prépondérant dans le non-respect des délais, la ville ne pouvait se plaindre du retard et réclamer l’application de la clause pénale et les pénalités y afférentes.

Cette décision est également un cas d’application où l’absence de préjudice aurait fait échec à l’application de la clause pénale. En effet, la Cour d’appel souligne que n’eût été le manquement de la Ville de Québec à son obligation d’information, la clause de non-respect des délais n’aurait tout de même pas trouvé application, la ville n’ayant pas fait la preuve qu’elle avait subi des dommages résultant du retard. Le tribunal estime qu’il ne suffisait pas pour la Ville de Québec d’invoquer sans nuance son droit contractuel d’être indemnisée pour le retard dans l’exécution des travaux. De fait, si la partie à qui l’on tente d’opposer la clause pénale peut prouver l’absence de préjudice subi par son donneur d’ouvrage malgré le non-respect des délais, cela fera généralement échec à son application.

Toujours dans le contexte d’application d’une clause pénale, la Cour d’appel a confirmé en novembre dernier un jugement de la Cour supérieure illustrant une autre limite à l’application d’une clause de non-respect des délais[3]. Cette fois-ci, la Cour d’appel a conclu que la Ville de Montréal ne pouvait invoquer la pénalité pour retard contre la compagnie de construction responsable des travaux d’agrandissement et de mise à niveau d’un aréna, au motif que celle-ci avait préalablement mentionné qu’elle ne s’en prévaudrait pas.

À noter que la clause pénale dans ce dossier ne semblait pas d’application automatique, laissant ainsi une latitude à la Ville de Montréal quant à son utilisation. La preuve révélait donc que la Ville de Montréal avait laissé sous-entendre, par l’entremise de son directeur (au courant du chantier et même suivant le dépôt des procédures judiciaires), qu’elle n’avait pas l’intention d’appliquer les pénalités de retard si l’entrepreneur avait démontré sa bonne volonté lors du chantier. La ville ne pouvait donc pas, pour des raisons de cohérence et de bonne foi, réclamer l’application de la clause.

En somme, les clauses pénales incluses dans les contrats de construction prévoyant à l’avance l’évaluation des pénalités applicables en cas de retard dans l’exécution des travaux sont fréquentes et peuvent donner lieu à des contestations judiciaires. Il reste important de demeurer prudent avant de conclure automatiquement à l’application de celles-ci. En effet, les décisions précitées illustrent bien qu’il sera parfois possible pour l’entrepreneur se voyant opposer une telle clause d’en contester l’application en fonction des circonstances spécifiques à la situation vécue en cours d’exécution des travaux.

N’hésitez pas à communiquer avec notre équipe en litige de construction qui se fera un plaisir de vous conseiller et de vous accompagner.

 

[1] Voir à ce sujet : Robitaille c. Gestion L. Jalbert inc., 2007 QCCA 1052, par. 44 et s.; Gestess Plus (9088-0964 Québec inc.) c. Harvey, 2008 QCCA 314, par. 17 et s. [2] Ville de Québec c. Constructions BSL inc., 2022 QCCA 1682 (décision « BSL »). [3] Ville de Montréal c. Compagnie de construction Édilbec inc., 2022 QCCA 1521 (décision « Édilbec  »).

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