Sommaires exécutifs 12 août 2021
Victoire des étudiants de l’ABI : quelles répercussions cette décision pourrait-elle avoir sur votre entreprise?
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Ce dossier portant sur la notion de salaire égal pour un travail égal faisait l’objet, depuis plusieurs années déjà, de débats devant les tribunaux. En vertu de la décision rendue par la Cour d’appel du Québec le 16 juin 2021, Aluminerie de Bécancour inc. (« ABI ») devra verser aux étudiants qui seront embauchés pendant la période estivale et pendant la période des fêtes, le même salaire que ses employés permanents. La Cour d’appel du Québec, statuant en faveur des étudiants d’ABI, a ainsi confirmé le jugement de première instance et rejeté l’appel interjeté par ABI.
Rappel des faits
À la suite d’une demande en dommages-intérêts déposée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, le Tribunal des droits de la personne a rendu sa décision le 11 mai 2018 et a condamné ABI à verser des dommages-intérêts, y compris des dommages moraux, à ses employés étudiants.
La plainte déposée par la section locale 9700 du Syndicat des Métallos démontrait que les étudiants étaient les employés les moins bien rémunérés d’ABI en raison de leur âge et de leur condition sociale, et ce, même s’ils effectuaient les mêmes tâches que les employés bénéficiant d’une rémunération plus élevée.
ABI a plaidé, entre autres, que :
- les employés étudiants n’effectuaient pas une prestation de travail équivalente à celle des employés réguliers et occassionnels;
- le salaire différent était motivé par « la durée de service » qu’elle assimile à un « contrat à durée déterminée »; et que
- la distinction n’était pas fondée sur l’un des motifs de discrimination énumérés à l’article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés.
Le Tribunal avait rejeté ces arguments en 2018 et avait conclu que la distinction était effectivement fondée sur la condition sociale ou sur l’âge des étudiants, estimant que cette distinction portait ainsi atteinte à leur droit de recevoir un traitement égal pour un travail équivalent.
La Cour d’appel du Québec n’a pas relevé d’erreur manifeste et déterminant dans le jugement de première instance. Elle conclut, notamment, que le statut d’étudiant salarié constitue bel et bien une condition sociale du fait que ceux-ci font l’objet de certains préjugés. De plus, la preuve non contredite a démontré que, pour accomplir la même tâche, tous les employés sont formés de la même façon, déploient les mêmes efforts, assument les mêmes responsabilités et sont soumis aux mêmes conditions de travail.
Par ailleurs, la Cour n’a pas retenu l’argument d’ABI selon lequel les étudiants salariés seraient liés par des contrats de travail à durée déterminée, permettant ainsi de faire une distinction en vertu de l’exception relative à la « durée de service » prévue à l’article 19 de la Charte québécoise, laquelle se lit comme suit :
« 19. Tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit. Il n’y a pas de discrimination si une différence de traitement ou de salaire est fondée sur l’expérience, l’ancienneté, la durée du service, l’évaluation au mérite, la quantité de production ou le temps supplémentaire, si ces critères sont communs à tous les membres du personnel. Les ajustements salariaux ainsi qu’un programme d’équité salariale sont, eu égard à la discrimination fondée sur le sexe, réputés non discriminatoires, s’ils sont établis conformément à la Loi sur l’équité salariale (chapitre E‐12.001). »
Au contraire, après analyse de la preuve, la Cour d’appel a conclu que cette différence de traitement ne reposait pas sur l’expérience, sur l’ancienneté ou sur la durée de service des employés d’ABI, puisque les employés permanents sont mieux rémunérés que les étudiants, et ce dès leur première journée de travail alors que les échelles salariales sont à taux unique, peu importe la durée de service.
La Cour a conclu que la discrimination subie par les étudiants constituait une atteinte à leur dignité, justifiant des dommages-intérêts de 1 000 $ chacun en guise de compensation pour le préjudice moral subi.
Les leçons que les employeurs devraient tirer de cette décision
Sans vouloir minimiser l’importance de cette décision, on croit, à tort, que celle-ci aura une incidence sur toutes les entreprises du Québec. Pourtant, le paragraphe 81 de la décision indique bien comment elle affectera sans doute plusieurs entreprises, mais certainement pas toutes :
« [81] Les emplois étudiants ne vont pas disparaître prochainement pour cette raison, car, dans la majorité des cas, la différence salariale sera justifiée par des considérations prévues à l’article 19 de la Charte québécoise. Dans une certaine mesure, la rigueur avec laquelle l’appelante forme et assigne tous ses employés, qu’il s’agisse d’employés réguliers, d’occasionnels ou d’étudiants, et ce, à cause de la nature très particulière (et véritablement dangereuse) des tâches et de l’environnement de travail, entraîne cette obligation de leur verser le même salaire. L’appelante n’a, en réalité, établi aucune raison pour payer moins cher les étudiants qui font le même travail que leurs collègues. Ce ne sera pas nécessairement le cas de la majorité des emplois étudiants au Québec. Conséquemment, les présents motifs sont susceptibles d’avoir un impact circonscrit par des circonstances qui peuvent certes se retrouver dans d’autres entreprises, mais qui ne sont pas universelles. »
Dans ce contexte, nous notons que la Cour mentionne clairement que cette décision est basée sur des circonstances particulières et que cela ne signifie pas nécessairement que tous les étudiants employés au Québec doivent être rémunérés de la même façon que les autres employés effectuant les mêmes tâches. Même si ABI n’a pas réussi à prouver que la rémunération de ses étudiants était légalement justifiée, la Cour laisse la possibilité à d’autres entreprises de le faire.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette décision peut aussi être interprétée comme étant défavorable pour les étudiants dans la mesure où certains employeurs pourraient être réticents à les embaucher ou pourraient avoir des exigences plus élevées quant à leur performance étant donné que leur rémunération serait égale à celle des autres employés.
Du côté des entreprises syndiquées, cette décision pourrait inévitablement avoir un impact sur certaines dispositions prévues dans les conventions collectives, notamment celles qui prévoient des salaires différents pour les étudiants.
Si votre entreprise embauche des étudiants ou envisage de le faire, nous vous invitons à communiquer avec notre équipe du travail et de l’emploi pour de plus amples renseignements.
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