Sommaires exécutifs 15 mai 2024
Diversité et inclusion : des décisions récentes qui précisent les droits et obligations des employeurs
Les auteurs tiennent à remercier Paul Caron-Plaisance, étudiant en droit, pour son précieux apport au présent article.
Dans le contexte actuel des affaires, la diversité et l’inclusion sont devenues des impératifs pour toutes les entreprises. Les employeurs québécois, de plus en plus sensibilisés quant aux bénéfices tangibles de la diversité et de l’inclusion, tant sur le plan humain qu’organisationnel, sont soucieux de créer un environnement de travail inclusif et respectueux de la diversité.
Pour ce faire, il faut naviguer avec prudence dans le cadre juridique applicable pour garantir une gestion équitable et inclusive de la diversité en milieu de travail. Les décisions récentes en droit du travail offrent des pistes pour guider les employeurs dans leur démarche, en tenant compte des spécificités juridiques et des réalités concrètes du milieu professionnel.
L’affaire Bilac
Le Tribunal canadien des droits de la personne a récemment examiné une plainte déposée par un homme transgenre qui allègue avoir été victime de harcèlement discriminatoire dans son milieu de travail, soit une entreprise de camionnage. Dans cette affaire, l’identité de genre du plaignant n’est pas reflétée sur son permis de conduire et autres documents gouvernementaux.
Selon le plaignant, le harcèlement allégué résulte du fait que ses patrons et collègues refusent de reconnaître son identité de genre et emploient les mauvais noms et pronoms en sa présence, malgré maintes corrections de sa part Le Tribunal, dans son analyse, rappelle ce qu’une personne employée doit démontrer dans une poursuite pour harcèlement discriminatoire en matière d’emploi. Les actes reprochés doivent être :
- Liés à un motif de discrimination illicite;
- Non sollicités ou importuns; et
- Persistants ou suffisamment graves pour créer un milieu de travail hostile ou négatif qui a porté à la dignité de la personne employée.
Tel qu’il appert des critères, il importe peu que l’atteinte aux droits de la personne employée soit intentionnelle ou non.
Selon le Tribunal, l’identité ou l’expression de genre est un motif de discrimination interdit aux termes de la loi et l’usage erroné de pronoms féminins n’est évidemment pas recherché par le plaignant. Le Tribunal retient que la non-reconnaissance de l’identité de genre est une « source de stress important qui engendre humiliation, stigmatisation, détresse psychologique et déshumanisation » pour une personne transgenre, et que cette atteinte s’est étendue sur la durée de la période d’emploi du plaignant.
Les trois critères étant remplis, il revenait à l’employeur de se prévaloir d’un moyen de défense valide, notamment en démontrant que le harcèlement « a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets. »
Dans les faits, le Tribunal ne parvient pas à déceler d’effort positif de la part de l’employeur, celui-ci ne s’étant même pas doté d’une politique en matière de harcèlement. Le Tribunal octroie au plaignant la somme de 18 000 $ à titre de dommages-intérêts.
Notons que même si cette décision a été rendue sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, elle n’en demeure pas moins pertinente pour l’ensemble des employeurs au Québec, puisque l’identité ou l’expression de genre est un motif protégé en vertu de la Charte québécoise des droits de la personne. De plus, le cadre d’analyse de cette affaire pourrait être transposable dans le cadre d’une plainte en harcèlement en vertu de la Loi sur les normes du travail.
La décision Bilac établit clairement que le non-respect de l’identité de genre d’une personne employée (en ne la désignant pas à l’aide de ses pronoms choisis, notamment) peut être constitutif de harcèlement au travail. Il est primordial pour les employeurs de se doter d’une politique de prévention et de lutte contre le harcèlement en milieu de travail, comme l’exige d’ailleurs la Loi sur les normes du travail.
L’affaire Nipa
Également, le Tribunal canadien des droits de la personne a récemment examiné la plainte d’une femme qui allègue avoir été victime de discrimination sur la base de sa race et/ou de son origine nationale ou ethnique dans le cadre du processus d’embauche d’un employeur. Sa capacité de communiquer efficacement à l’oral avait été jugée insuffisante à l’occasion d’une entrevue informelle.
Après analyse des faits, le Tribunal ne peut identifier d’intention de discriminer de la part de l’employeur. Or, son analyse ne s’arrête pas là : l’ensemble de la preuve circonstancielle est examiné afin de déterminer si la décision d’éliminer la plaignante du processus de sélection a été influencée par des préjugés inconscients ou involontaires.
Le Tribunal conclut qu’aucune inférence ne permet d’établir que les responsables du recrutement avaient un biais inconscient négatif envers les candidats de la même origine ethnique que la plaignante. Aux fins de son analyse, le Tribunal tient compte des statistiques soumises par la partie patronale sur la composition diversifiée de sa main-d’œuvre afin de soutenir ses conclusions. Le Tribunal s’exprime ainsi à cet égard :
« Des éléments de preuve statistiques ont été présentés pour montrer la grande diversité de l’effectif de [l’employeur] [...]. Ces éléments de preuve étayent [l’opinion du Tribunal] selon laquelle il ne s’agit pas d’un lieu de travail où le processus d’embauche est normalement teinté de discrimination et qu’il est donc peu probable que les employés de [l’employeur] aient eu l’intention de faire preuve de discrimination à l’égard de [la plaignante]. »
Cette décision met en évidence que les efforts sincères des employeurs en matière de diversité et d’inclusion ne passent pas inaperçus aux yeux des instances administratives et judiciaires. Les employeurs sont encouragés à prendre des initiatives en matière de diversité et d’inclusion, telles l’adoption de politiques et la collecte de données par des mécanismes d’auto-identification. De plus, nous constatons que cette décision aborde le concept des « biais inconscients ». Les employeurs pourraient former leur personnel de recrutement à reconnaître ces biais inconscients, car, comme le rappelle le Tribunal dans l’affaire Nipa, cette forme de discrimination est également illicite.
L’arrêt confirmant la Loi sur la laïcité de l’État
Dans ce qui est assurément l’un des arrêts marquants de l’année, la Cour d’appel du Québec est venue valider, en grande partie, la controversée Loi sur la laïcité de l’État qui a des implications importantes pour les employeurs du secteur public. Rappelons que la loi interdit, par exemple, le port de signes religieux par certaines personnes en position d’autorité du secteur public (ex. enseignants d’établissements scolaires publics et policiers). Conformément à la volonté du gouvernement provincial, les employeurs publics doivent se conformer aux dispositions de la loi, même si elles dérogent à certains droits fondamentaux.
La Loi sur la Laïcité de l’État ne s’applique pas aux employeurs privés. Cela signifie qu’une personne employée du secteur privé n’a pas l’obligation légale de s’abstenir de porter des signes religieux dans l’exercice de ses fonctions et que les employeurs privés conservent leurs devoirs d’accommodement pour des raisons religieuses. Si un employé demande un accommodement pour des motifs religieux, l’employeur doit chercher des solutions pour répondre à ses besoins, et ce, jusqu’à la contrainte excessive, qui peut toucher notamment au bon fonctionnement de l’entreprise.
Notre équipe de droit du travail et de l'emploi est à votre disposition pour répondre à toutes vos questions concernant la diversité et l'inclusion au sein de votre entreprise.
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