Sommaires exécutifs 5 mars 2019
Cigarettiers déboutés en appel: les grands fabricants de tabac condamnés à verser plus de $15 milliards en dommages
Un résumé d’une des plus importantes décisions civiles du pays.
Dans un arrêt de plus de 400 pages, la Cour d’appel rejette les pourvois logés contre un jugement ayant condamné les trois grands fabricants de tabac – Imperial Tobacco Canada Ltd., Rothmans Benson & Hedges Inc. et JTI-Macdonald Corp. – à verser plus de $ 15 milliards en dommages moraux et punitifs.
Ces dommages, qui couvrent une période allant de 1950 à 1998, ont été octroyés dans le cadre d’actions collectives intentées au nom de deux groupes :
1) des personnes atteintes de diverses maladies à la suite de leur consommation d’un certain nombre de cigarettes; et
2) des personnes souffrant d’une dépendance au tabac en raison de leur consommation.
Selon les demandeurs, les fabricants auraient sciemment manqué à leurs devoirs de renseignement envers les membres du groupe quant aux risques associés à l’utilisation de leurs produits, enfreignant ainsi le Code civil du Québec (C.c.Q.), la Loi sur la protection du consommateur (L.P.C.) et la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise).
Conclusions du jugement de la Cour d’appel
Bien que la Cour d’appel ne partage pas le raisonnement du juge de première instance (l’honorable Brian Riordan) sur toute la ligne, elle reprend ses conclusions principales, à savoir :
- Les fabricants ont manqué à leur devoir de renseignement en ne fournissant pas aux usagers les renseignements relatifs au défaut de sécurité que présente la cigarette ou n’ont fourni que des renseignements inadéquats. Les fabricants ont par ailleurs désinformé les usagers en s’attaquant à la crédibilité des avertissements, conseils et explications diffusés par d’autres à propos des méfaits de la cigarette.
- Les fabricants n’ont pas réussi à prouver que les membres des groupes connaissaient ou étaient en mesure de connaître les préjudices auxquels ils s’exposaient en consommant leurs produits.
- Il existe un lien de causalité entre les fautes des fabricants et les préjudices subis par les membres des groupes puisqu’ils en étaient la conséquence logique, directe et immédiate. De plus, la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac (Loi sur le recouvrement) permettait aux membres des groupes de faire la preuve de la causalité sur une base épidémiologique ou statistique.
- Les fabricants ont contrevenu aux articles 219 et 228 L.P.C., qui interdisent au fabricant de faire une représentation fausse ou trompeuse, donnant ainsi ouverture aux dommages punitifs.
- Les fabricants ont également enfreint l’article 1 de la Charte québécoise, qui enchâsse les droits à la vie, à la sûreté et à l’intégrité de la personne, fautivement et illicitement, donnant aussi ouverture aux dommages punitifs.
- En vertu de l’effet rétrospectif de la Loi sur le recouvrement, les réclamations des membres atteints de diverses maladies reliées à la consommation de cigarettes n’étaient pas prescrites.
- L’attribution et le montant des dommages punitifs ne comportaient aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour d’appel.
- De même, le recouvrement collectif ordonné par le juge de première instance ne comportait aucune erreur déterminante.
Impact sur les entreprises faisant affaire au Québec
L’arrêt de la Cour d’appel, qui fera probablement l’objet d’une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada, n’est pas seulement pertinent pour les fabricants et les consommateurs de cigarettes, mais comporte aussi des enseignements qui sont d’intérêt pour tous ceux qui font affaire au Québec.
Par exemple, la Cour d’appel est d’avis que la désinformation n’est pas exclue du champ de l’obligation de renseignement du fabricant imposé par le Code civil.
La Cour d’appel souligne également qu’un manquement à certaines obligations prévues par la L.P.C. peut donner ouverture à des dommages punitifs, et ce, même en l’absence de dommages compensatoires. Rappelons que dans cette affaire, les dommages punitifs se chiffraient dans les milliards de dollars.
Enfin, l’arrêt de la Cour d’appel démontre qu’une action collective peut incarner un risque existentiel pour les entreprises, et que les concepts de causalité et de prescription ne sont pas aussi fixes ou prévisibles qu’on ne serait porté à croire.
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