Sommaires exécutifs 3 déc. 2019
Affaire Mike Ward : pourquoi les blagues sur le « petit Jérémy » ont dépassé les limites selon la Cour d’appel?
Le 28 novembre 2019, la Cour d’appel du Québec a rendu sa décision dans l’affaire opposant Mike Ward à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour les propos tenus par l’humoriste sur le « petit Jérémy » dans un de ses numéros. Voici un survol de la décision et des notions importantes à retenir.
De septembre 2010 à mars 2013, M. Ward a présenté un spectacle intitulé « Mike Ward s’eXpose » dont l’un de ses numéros était « Les Intouchables » qui portait sur les personnalités québécoises dont on ne peut se permettre de rire selon l’humoriste. Jérémy Gabriel, atteint depuis sa naissance du syndrome de Treacher Collins, était visé par ce numéro comme d’autres personnalités québécoises.
M. Ward se moquait de Guy A. Lepage (sa barbe, sa coupe de cheveux et son égo), Louis-José Houde (sa masculinité), Céline Dion (sa simplicité et les changements à son apparence physique), Gregory Charles et Jacques Languirand (leurs sourcils), René Angélil (son apparence physique et sa susceptibilité), Ariane Moffatt (son poids) et Jérémy Gabriel (son handicap).
Le handicap de Jérémy Gabriel
Ce qui distingue Jérémy Gabriel des autres personnalités c’est qu’il fait l’objet d’une distinction pour l’un des motifs de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »), soit la distinction fondée sur le handicap.
L’objectif de l’article 10 de la Charte est de protéger contre les distinctions, exclusions ou préférences fondées sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Par contre, ce ne sont pas toutes les blagues pour l’un des motifs énumérés à l’article 10 de la Charte qui donnent ouverture à un recours. Il faut également établir que les propos ont eu pour effet de compromettre la reconnaissance, en toute égalité, du droit à la sauvegarde de la dignité, de l’honneur et de la réputation. Les propos doivent atteindre un certain degré de gravité qui affecterait une personne raisonnable dans sa dignité.
La distinction entre le recours en diffamation et celui basé sur la discrimination
La Cour prend bien soin de faire la distinction entre le recours en diffamation et celui basé sur la discrimination.
Une atteinte à la dignité, l’honneur et la réputation peut engendrer un recours pour diffamation en vertu des règles générales de responsabilité civile (art. 1457 du Code civil du Québec et art. 4 de la Charte) ou un recours pour atteinte au droit à l’égalité (ou discrimination) (art. 10 de la Charte).
Dans ce dernier cas, le plaignant doit démontrer une atteinte illicite à son droit à la reconnaissance et l’exercice en pleine égalité d’un droit garanti aux articles 1 à 9 de la Charte. Le défendeur doit démontrer que l’atteinte peut se justifier par les exemptions prévues par la loi.
Le cas Ward et la liberté d’expression
L’humour est protégé par le droit à la liberté d’expression.
Ainsi, le droit contre la discrimination se confronte ici au droit à la liberté d’expression. La Cour doit donc évaluer la situation du point de vue d’une « personne raisonnable, habituée à une société pluraliste où l’on valorise la liberté d’expression et où on admet certains excès de langage dans l’exercice de cet autre droit fondamental. »
Pour qu’il y ait atteinte, « l’affront doit être particulièrement méprisant et lourd de conséquences pour la personne visée. » La Cour d’appel a confirmé cette conclusion.
La Cour d’appel indique clairement que son « intention n’est pas de restreindre la créativité ou censurer l’opinion des artistes », mais que « les humoristes, comme tout citoyen, sont responsables des conséquences de leurs paroles lorsqu’ils franchissent certaines limites. »
Les dommages
Par son jugement, la Cour d’appel confirme la somme accordée dans ce dossier qui est de 25 000 $ pour le préjudice moral et 10 000 $ pour les dommages punitifs. Le montant de 7 000 $ octroyé à la mère de Jérémy Gabriel n’a cependant pas été maintenu par la Cour d’appel.
Au moment d’écrire ces lignes, M. Ward avait annoncé publiquement son intention de faire appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada.
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