Sommaires exécutifs 25 sept. 2023
L’injonction interlocutoire : le critère de l’apparence de droit et ses nuances
Souvent qualifié d’extraordinaire ou d’exceptionnel, le recours à l’injonction est soumis à un fardeau de preuve lui étant spécifique. À ce titre, la jurisprudence en la matière relève certaines nuances à l’égard du critère de l’apparence de droit, l’un des critères phares à soupeser dans un contexte d’injonction interlocutoire.
Les principes généraux
Une injonction est une ordonnance de la Cour supérieure enjoignant à une personne ou, dans le cas d'une personne morale, d'une société, d'une association ou d'un autre groupement sans personnalité juridique, à ses dirigeants ou représentants, de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d'accomplir un acte déterminé. Une injonction peut être permanente, c’est-à-dire prononcée par un jugement final au terme de l’administration d’une preuve complète, ou encore être accordée temporairement dans un dossier dans l’attente d’une décision finale. Elle est dans ce dernier cas dite interlocutoire et interlocutoire provisoire dans le cas d’une situation urgente et exceptionnelle.
En matière d’injonction interlocutoire, la partie souhaitant obtenir une ordonnance injonctive doit :
- Démontrer qu’elle possède un droit apparent à l’injonction recherchée,
- Prouver que l’absence de l’injonction demandée lui occasionnera un préjudice sérieux ou irréparable, et
- Démontrer que la balance des inconvénients, si elle n’obtient pas l’ordonnance recherchée, milite en sa faveur.
À noter que s’il s’agit d’une injonction interlocutoire provisoire, la partie requérante devra également établir le caractère urgent de sa demande.
Par ailleurs, le critère de l’apparence de droit est étroitement lié à l’injonction interlocutoire puisqu’à ce stade, les tribunaux ne statuent pas véritablement sur les prétentions et les droits des parties. En effet, au stade interlocutoire, l’injonction est une mesure provisionnelle et le rôle du juge se limite à réaliser une évaluation préliminaire seulement, sur la base d’un dossier incomplet. À cette étape, les tribunaux doivent donc se garder de faire une étude approfondie du bien-fondé de la demande et du fond de l’affaire.
Par conséquent, bien qu’il soit nécessaire que la demande ne soit ni frivole ni vexatoire, la démonstration d’un droit apparent à l’injonction recherchée n’est pas des plus exigeante. Les tribunaux ont donc maintes fois considéré qu’un droit même douteux pourra être jugé suffisant afin d’obtenir l’émission d’une injonction interlocutoire.
Toutefois, il est à noter que le seuil à atteindre afin de rencontrer le fardeau de preuve relatif à l’apparence de droit peut varier selon la nature de l’injonction recherchée et est tributaire de différentes circonstances. En effet, la jurisprudence à ce titre permet de recenser certains cas où il n’est pas aussi simple d’établir l’existence d’une apparence de droit.
Un fardeau parfois plus exigeant?
En 2018, la Cour suprême a établi qu’en présence d’une demande ayant des conclusions injonctives de nature mandatoire (c’est-à-dire ordonnant à une partie de faire quelque chose), la partie requérante doit démontrer une forte apparence de droit. Un tel fardeau implique que la partie requérante « démontr[e] une forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, [elle] réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance »[1], ce qui n’est pas toujours chose aisée à un stade aussi préliminaire du dossier. Autrement dit, ce fardeau de preuve rehaussé ne s’applique pas à une injonction de nature prohibitive, c’est-à-dire ordonnant à une partie de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose.
La Cour supérieure a d’ailleurs appliqué cet enseignement dans une décision rendue le 31 juillet 2023 impliquant notamment le Centre d’acquisitions gouvernementales (le « CAG ») et certaines agences privées fournissant des ressources en soins infirmiers aux établissements du Réseau de la santé et des services sociaux. Les agences privées en demande recherchaient principalement une ordonnance enjoignant au CAG de les ajouter sur une liste d’adjudication suivant un appel d’offres. Appelée à se prononcer plus spécifiquement dans le cadre de l’injonction interlocutoire provisoire, la Cour a qualifié l’ordonnance recherchée de mandatoire et a ainsi rappelé qu’en de telles circonstances, l’exigence de la forte apparence de droit trouve application.
La démonstration d’une apparence de droit peut également s’avérer plus difficile à faire lorsqu’une injonction interlocutoire est recherchée contre un organisme public comme dans la décision précitée. Effectivement, la jurisprudence reconnaît que l’obtention d’une injonction contre un tel organisme est tributaire notamment de la démonstration d’une apparence sérieuse de droit qui équivaut « à la norme plus exigeante d’une solide apparence de droit ». Il en est ainsi puisque les actes d’un organisme public jouissent d’une présomption de validité du fait que l’Administration publique est considérée comme agissant dans l’intérêt public. Bien qu’il soit toujours nécessaire dans ce cas de faire la démonstration d’une apparence de droit, cette démonstration devra être plus convaincante en raison de la présomption de validité applicable.
Ainsi, dans la décision de la Cour supérieure abordée précédemment, celle-ci a non seulement conclu que les conclusions de nature mandatoire recherchées par les demanderesses exigeaient la preuve d’une forte apparence de droit, mais également celle d’une solide apparence de droit, le CAG étant un organisme public. Par ailleurs, étant d’avis que les demanderesses avaient échoué à rencontrer ce fardeau plus exigeant, la Cour supérieure a rejeté leur demande en injonction interlocutoire provisoire.
Ces cas illustrent bien que même si l’évaluation du critère de l’apparence de droit n’équivaut pas à une analyse exhaustive du fond de l’affaire, il est loin d’être garanti que cette apparence sera facile à démontrer, dans la mesure où l’injonction est un recours extraordinaire qui s’impose généralement comme un moyen de dernier recours.
Par conséquent, tout comme en cas d’injonction mandatoire, la prudence est de mise avant d’entamer un recours de nature injonctive contre un organisme public. La jurisprudence a en effet tendance à se montrer plus sévère dans son interprétation du critère de l’apparence de droit en raison du fardeau de preuve exigeant applicable dans ce cas.
Pour toute question, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe de litige qui se fera un plaisir de vous conseiller.
[1] R. c. Société Radio‑Canada, [2018] 1 RCS 196, par.17.
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