
Sommaires exécutifs 9 mai 2025
Quand annoncer un prix coûte cher : la Cour d’appel se prononce sur les dommages dans l’affaire Union des consommateurs c. Air Canada
Le 22 avril 2025, la Cour d’appel a rendu une décision dans l’affaire Union des consommateurs c. Air Canada, 2025 QCCA 480 (« Air Canada »). Cette décision était fort attendue non seulement parce qu’elle soulève des questions d’intérêts en matière de décomposition du prix annoncé et de la doctrine de prépondérance fédérale, mais surtout parce qu’elle analyse les critères d’application de la présomption d’effet dolosif de la Loi sur la protection du consommateur (« LPC »).
Les médias ont principalement discuté de la condamnation au montant de 10M$ en dommages punitifs contre Air Canada. Ce qui a véritablement retenu notre attention est le rejet de dommages compensatoires considérant l’absence de preuve du quantum. Nous nous attarderons principalement sur ce dernier aspect dans le cadre du présent bulletin.
Résumé
En guise de rappel, il s’agit d’un dossier de décomposition du prix annoncé en vertu de l’article 224 de la LPC. Air Canada aurait affiché un prix inférieur pour des billets d’avion au prix réclamé et payé à la fin du processus d’achat. Dans le cadre d’une action collective, l’Union des consommateurs (l’« Union ») réclame la réduction des obligations des consommateurs en exigeant le remboursement d’une partie du prix payé pour les billets, soit la différence entre le prix annoncé et le montant exigé, à l’exception des taxes visées par l’exemption. Elle réclame également des dommages punitifs.
Plusieurs questions étaient au cœur de ce débat, notamment la question de l’application des quatre éléments établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8 (« Time ») afin que la présomption irréfragable qui donne ouverture aux réparations de l’article 272 de la LPC trouve application. Ces éléments sont les suivants :1) la violation par le commerçant ou le fabricant d’une des obligations imposées par le titre II de la LPC; 2) la prise de connaissance de la représentation constituant une pratique interdite par le consommateur; 3) la formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance; et 4) une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat.
La juge de première instance avait conclu que le quatrième critère n’avait pas été satisfait en l’espèce considérant l’absence de lien rationnel suffisant ou d’une proximité suffisante entre la pratique interdite (l’affichage de prix partiel) et la formation du contrat (l’achat de billets d’avion). Sur ce point, la Cour d’appel rappelle que l’exercice auquel doit se livrer la cour afin de déterminer si le critère de proximité suffisante est rencontré doit se faire « en faisant abstraction des attributs personnels du consommateur à l’origine de la procédure engagée contre le commerçant ». La Cour d’appel conclut que la juge de première instance a commis une erreur révisable sur cet aspect et que les quatre critères sont rencontrés. La présomption irréfragable doit donc s’appliquer. Par conséquent, le fait qu’Air Canada ait demandé un prix supérieur à celui annoncé est réputé avoir eu un effet dolosif sur les membres du groupe. Les réparations prévues à l’article 272 de la LPC peuvent être réclamées sous réserve de faire la démonstration du quantum.
Nécessité d’une preuve sur le quantum
Bien que des présomptions puissent s’appliquer afin de faciliter la démonstration d’un lien causal et du préjudice, le fardeau des réclamants quant à la démonstration de la quantification de leurs dommages demeure entier. Air Canada plaidait d’ailleurs à ce sujet que le montant total de la réparation demandée correspondant à la réduction du montant du prix payé, soit 58 M$, était purement arbitraire, se composait majoritairement de sommes remises à des tiers et que son remboursement entraînerait un enrichissement pour les consommateurs, ce qui n’est pas l’objectif visé par cette réparation.
La Cour d’appel rappelle que « la démonstration de ces dommages demeure soumise aux règles générales du droit civil québécois ». Il revient au réclamant de démontrer que le montant de réduction de son obligation est approprié, soit qu’il est certain et quantifiable.
L’aspect compensatoire visé par la réclamation en réduction de l‘obligation ou le versement de dommages-intérêts a pour objectif de réparer. Par conséquent, les dommages accordés sous ce chef ne peuvent pas excéder le préjudice réellement subi. La Cour mentionne également que l’attribution de dommages automatiques n’est pas possible en l’espèce puisqu’il ne s’agit pas d’un des cas visés par l’article 271 al. 2 de la LPC.
La Cour d’appel souligne les nuances entre les autorités citées par l’Union et le présent dossier. La Cour note, entre autres, que la « pratique interdite d’Air Canada relève du domaine précontractuel et l’on ne peut reprocher à Air Canada d’avoir facturé des frais qui n’étaient pas mentionnés aux contrats d’achat des billets d’avion ». Les membres du groupe ont conclu des contrats qui mentionnaient clairement la totalité du coût exigé pour l’achat et ont versé ledit montant et obtenu le service pour lequel ils ont payé.
Le passage suivant de la décision nous apparaît fort pertinent et souligne clairement que le fardeau à satisfaire ne peut se résumer à un simple exercice de soustraction, mais doit être une démonstration d’un préjudice économique et quantifiable supporté d’une preuve solide découlant de la pratique visée.
[100] Le tribunal ne peut quantifier une réparation en l’absence d’une preuve, quelle qu’elle soit, qui démontre d’abord l’existence d’un dommage, selon la prépondérance des probabilités. En circonscrivant ses arguments au calcul de la différence de prix, l’Union des consommateurs néglige de démontrer que les consommateurs ont bel et bien subi une perte économique en raison de la pratique interdite. (Référence omise)
La Cour d’appel souligne également l’absence de preuve quant aux profits qu’Air Canada aurait pu présumément tirer de cette pratique interdite et ne peut donc pas attribuer un montant sur cette base.
Sur l’aspect des dommages-punitifs, la Cour d’appel conclut toutefois qu’Air Canada a fait preuve de négligence et d’insouciance dans l’exercice de cette pratique et qu’elle a choisi de prioriser son intérêt concurrentiel plutôt que de protéger les intérêts des consommateurs. Elle donne donc raison à la réclamation de dommages punitifs au montant de 10M$ (représentant un montant d’environ 14,45$ par billet vendu) qui devra faire l’objet d’une liquidation de manière individuelle par voie de recouvrement collectif.
Conclusion et autres perspectives
En conclusion, même dans le cadre d’une action collective en application de la LPC, prévoyant un régime souple, permissif et favorable aux consommateurs, la preuve d’un préjudice économique doit être établie afin d’obtenir compensation au fond. La démonstration d’un préjudice quantifiable doit être supportée par une preuve étoffée et convaincante quant à la perte économique subie. En revanche, malgré l’absence de dommages-intérêts compensatoires, des dommages punitifs peuvent être accordés lorsque la loi le prévoit.
Nous notons également que les tribunaux condamnent sévèrement les pratiques commerciales trompeuses et qu’elles présentent des risques accrus pour les entreprises qui les adoptent. D’ailleurs, la LPC n’est pas la seule loi qui prévoit des dispositions interdisant l’affichage de prix partiel (drip pricing en anglais). La Loi sur la concurrence (« LC ») le prohibe également spécifiquement. À titre d’exemple, le Bureau de la concurrence a tout récemment intenté des procédures auprès du Tribunal de la concurrence contre Canada’s Wonderland pour avoir annoncé en ligne un prix inférieur à celui que les consommateurs devaient réellement payer. De plus, en septembre dernier, le Bureau de la concurrence a obtenu gain de cause contre Cineplex Inc., qui a été condamnée à payer 38,9M$ pour une pratique d’affichage de prix partiel. Il est à noter que cette décision fait l’objet d’un appel. Avec l’entrée en vigueur imminente des dernières modifications à la LC, les parties privées auront la possibilité de demander au Tribunal de la concurrence une permission de présenter un recours qui pourra être autorisé si l’intérêt du public est démontré. Il sera intéressant de voir si ce nouveau véhicule procédural pour les parties privées engendrera une augmentation des poursuites contre ce type de pratique commerciale trompeuse.