Sommaires exécutifs 9 nov. 2023
Concilier le retrait des affaires et la clause de non-concurrence d’un actionnaire : est-ce possible?
L’insertion d’une clause de non-concurrence dans les conventions entre actionnaires est une pratique usuelle qui permet à une société et à ses actionnaires de protéger leur position concurrentielle dans le marché advenant le retrait d’un actionnaire ou la vente de ses actions.
Les critères de validité d’une clause de non-concurrence sont bien établis en jurisprudence et ne feront pas l’objet du présent article. Toutefois, l’application d’une telle clause dans un cas de retrait des affaires mérite qu’une attention particulière y soit apportée, afin d’éviter que l’engagement de non-concurrence soit invalidé par les tribunaux.
La clause de non-concurrence : inapplicable dans certains cas
En effet, la mise en application d’une clause de retrait des affaires et le comportement de la partie désirant s’en défaire peuvent rendre déraisonnable et inapplicable une clause de non-concurrence, et ce, même si elle semble à première vue valide. D’où l’importance d’agir avec diligence et bonne foi dans la mise en application d’une clause de retrait des affaires, telle que nous le rappelle la décision de la Cour supérieure 9395-3271 Québec inc. c. Fleury, 2023 QCCS 2603.
Dans ce dossier, la société demanderesse requérait l’émission d’une injonction interlocutoire à l’encontre d’un ancien employé, d’un ancien employé et actionnaire ainsi que des sociétés leur étant liées. La demanderesse invoquait notamment les clauses de non-concurrence, de non-sollicitation et de confidentialité contenues dans une convention entre actionnaires et/ou dans un contrat de travail ainsi que leur obligation de loyauté.
Il est à noter que les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation contenues dans la convention entre actionnaires étaient applicables pour une durée de trois ans à compter de la date de disposition des actions de l’actionnaire sortant de la société ou retiré des affaires de celle-ci. Bien que la clause de non-concurrence pouvait paraître raisonnable à première vue, notamment quant à sa durée, elle a été déclarée invalide par le tribunal en raison de l’imprécision de la date de début du délai de trois ans contenu à la clause de non-concurrence, cette imprécision ayant été provoquée par le comportement de la demanderesse.
L’importance de faire preuve de bonne foi
Selon la convention entre actionnaires de la société, la démission ou le congédiement d’un actionnaire, pour quelque raison que ce soit, entrainait :
- Son retrait des affaires de la société demanderesse; et
- Le déclenchement automatique d’une offre irrévocable de vente de la totalité de ses actions aux autres actionnaires de la société.
Or, lors de la présentation de la demande d’injonction interlocutoire, plus de six mois s’étaient écoulés sans que la demanderesse n’ait fait évoluer le processus de retrait des affaires à la suite de l’envoi de l’avis. Selon le tribunal, la demanderesse et les actionnaires restants ne s’étaient pas comportés de manière à y donner suite avec célérité, de bonne foi et en conformité avec la convention d’actionnaires. Au lieu d’appliquer strictement les modalités d’achat prévues à la convention entre actionnaires quant aux prix des actions, la demanderesse a plutôt proposé de racheter les actions de l’actionnaire sortant à vil prix, et ce, contrairement au prix qui était prévu à ladite convention.
Ainsi, un litige sur la valeur des actions était inévitable, et la date de disposition des actions demeurait inconnue ou tributaire de la seule volonté de la société demanderesse et des actionnaires restants. L’actionnaire retiré des affaires de la société se retrouvait donc en otage des obligations contenues à la convention entre actionnaires, dont celle de non-concurrence, et ce, pour une durée indéterminée.
Conclusion de la Cour : des clauses excessives?
En conséquence, la Cour a jugé que la durée des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation était excessive, indéterminée et tributaire de la seule volonté de la société demanderesse et a écarté leur application au stade interlocutoire.
Par ailleurs, la Cour a rejeté la demande d’injonction interlocutoire de la société demanderesse, ayant conclu que les défendeurs n’avaient pas contrevenu à leurs obligations de quelque nature que ce soit.
Ainsi, à la lumière de ce jugement, la prudence est de mise dans la rédaction mais également dans la mise en application d’une clause de non-concurrence. En effet, dans un contexte de retrait des affaires d’un actionnaire, il est important que la partie demandant le respect d’un tel engagement se conforme, en tout point, à la convention entre actionnaires, notamment au mécanisme d’offre irrévocable et automatique de vente des actions. Elle se doit également d’enclencher le processus d’achat ou de rachat des actions de l’actionnaire sortant avec célérité et de bonne foi. De même, le mécanisme d’évaluation de la valeur des actions pouvant être prévu à la convention entre actionnaires doit être respecté, à défaut de quoi la clause de non-concurrence pourra être jugée invalide en raison de sa mise en œuvre déraisonnable.
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