Sommaires exécutifs 11 oct. 2019

Comment appréhender les changements en cours d’exécution d’un grand projet de construction?

L’une des bases du succès d’un projet de construction est la lecture adéquate du contrat liant les parties. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’un contrat octroyé par voie d’appel d’offres.

En effet, une lecture attentive des documents mis à la disposition du soumissionnaire lui permettra non seulement d’établir un juste prix, mais également de connaître l’étendue de ses obligations et généralement d’éviter les mauvaises surprises en cours d’exécution. 

Les impacts en cas de changements au contrat

En effet, malgré la diligence de l’entrepreneur ou la plus grande bonne foi du donneur d’ouvrage, bien rares sont les chantiers qui ne connaissent aucune modification lors de l’exécution. La nature ou l’origine de ces changements sont multiples. Elles peuvent émaner de conditions de réalisation différentes de celles prévues, de modification des travaux à réaliser, d’un ajout aux travaux prévus, etc. Règle générale, en matière de contrat public, ces changements sont régis par des dispositions spécifiques au contrat intervenu entre les parties.

Il est d’une importance capitale pour tout entrepreneur de bien connaître et comprendre les clauses contractuelles établissant le processus à suivre lorsque des changements au contrat surviennent.

Effectivement, dans l’affaire 2414-9098 Québec inc. c. Pasagard Development Corporation, la Cour d’appel rappelle qu’« il est de jurisprudence et de doctrine constantes que, lorsque le contrat prévoit une procédure de modification du contrat et des travaux à réaliser, l’entrepreneur se doit de la respecter sans quoi sa réclamation pour l’indemnisation des travaux supplémentaires réalisés se devra être rejetée. »[1]  Dans cette affaire, la procédure, que l’on retrouve couramment, prévoyait qu’il devait y avoir une entente tant sur l’étendue que sur le prix des travaux supplémentaires, et ce, préalablement à l’exécution de ceux-ci. Ainsi, la réclamation de l’entrepreneur visant des travaux exécutés sans se soucier du respect de cette procédure, et en l’absence d’une démonstration d’une renonciation de la part du donneur d’ouvrage à ladite procédure, a été rejetée.

Bien qu’il soit essentiel de respecter la procédure contractuelle établissant la procédure à suivre en matière de changement, celle-ci ne permet pas nécessairement d’éviter dans tous les cas, les différends. Nous pouvons toutefois retenir certains principes émanant de la jurisprudence qui pourrait éviter bien des tracas aux entrepreneurs.

Clarifier les ambiguïtés

Tout d’abord, rappelons que lorsqu’un contrat n’est pas clair et qu’il a été imposé par une partie, la règle est à l’effet qu’il s’interprète contre celui qui l’a rédigé. Cela s’applique au contrat et à l’ensemble des documents contractuels (dont le devis). Il est préférable de voir à clarifier à tout moment, tant au stade de la soumission que de l’exécution, les ambiguïtés ou les difficultés d’interprétation qui peuvent survenir. En effet, au stade de l’audition de la demande, le Tribunal aura à départager entre une ambiguïté pouvant laisser perplexe et une difficulté pouvant être résolue en interprétant les clauses les unes par rapport aux autres.[2]

Privilégier les ententes au préalable

Ensuite, tel que nous l’avons vu précédemment, il peut également s’avérer plus qu’utile d’obtenir, préalablement à toutes exécutions des travaux justifiant un extra, une entente quant à l’étendue desdits travaux et du prix, et ce à plus forte raison lorsqu’il s’agit de la procédure contractuelle à suivre. Il convient de préciser que le silence du donneur d’ouvrage n’équivaut pas nécessairement à une renonciation du processus d’approbation de travaux supplémentaires. Il est donc non seulement important de dénoncer la situation par écrit, mais également de provoquer une réponse, puisque l’intention de renoncer doit être non équivoque.[3]

Déterminer l’urgence et la nécessité d’un changement

Il est également préférable de se faire confirmer par les professionnels l’urgence d’une modification, puisque les coûts afférents à une décision de gérance en l’absence d’une telle urgence, comme les coûts liés à la perte de productivité, ne sont pas nécessairement considérés comme des extras.[4]

En bref, il est important de traiter son dossier avec rigueur à tout moment afin de pouvoir se constituer une preuve tangible des dommages réclamés.

La procédure du Projet pilote 

Une lecture adéquate des documents de soumissions permettra également de savoir si le projet sur lequel l’entrepreneur soumissionnera est assujetti au Projet pilote visant à faciliter le paiement aux entreprises parties à des contrats publics de travaux de construction ainsi qu’aux sous-contrats publics qui y sont liés. Ce projet innovant mis en vigueur en 2018 vise, tel que son nom l’indique, à faciliter le paiement tant aux entrepreneurs qu’aux sous-traitants dans le cadre de travaux publics de construction.

La procédure prévue à ce projet permettra entre autres de régler les différends pouvant survenir quant à l’évaluation de la valeur d’une modification au contrat.[5]

Ainsi, si dans le cadre d’un projet de construction soumis au projet pilote, un différend survient quant à l’évaluation de la valeur d’une modification au contrat, celui-ci peut être soumis à un intervenant-expert qui collectera la position de toutes les parties. Ce dernier aura dès lors le mandat de trancher le différend dans les 30 jours suivant la transmission de la documentation requise.[6]

La décision dudit intervenant-expert sera exécutoire et le paiement devra être effectué dans les 10 jours de la réception de l’avis. 

Là où le législateur a su innover, est que le paiement effectué dans le cadre de ce processus de règlement de différends est réputé fait sous protêt, donc sans préjudice et sous réserve du droit du payeur au remboursement de la totalité ou d’une partie de la somme versée.[7] Il est également prévu qu’un recours portant sur les mêmes éléments que ceux ayant fait l’objet du processus de règlement de différends peut être introduit devant un arbitre ou un tribunal de droit commun.[8]

Ainsi, si l’entrepreneur demeurait insatisfait des résultats obtenus, il sera en mesure de déposer, tel que c’est généralement possible de le faire, une réclamation pour travaux supplémentaires, bien entendu avec les preuves à l’appui. Le donneur d’ouvrage quant à lui aura la possibilité de saisir la Cour ou un arbitre d’une demande de remboursement du montant qu’il considère payé en trop.

Ce faisant, cette procédure permettra de faire cheminer le chantier tout en évitant d’accumuler d’importants coûts afférant à des travaux supplémentaires, et ce, sans renonciation d’aucune des parties à leurs droits.

Pratiquement aucun chantier n’est à l’abri de changements en cours d’exécution. Ainsi, une lecture adéquate du contrat liant l’entrepreneur au donneur d’ouvrage et une connaissance approfondie du processus de modification contractuelle permettront certainement à un entrepreneur rigoureux de réussir avec succès ses demandes de réclamations pour travaux supplémentaires. Ajoutons qu’il en va de même pour la gestion de la fin du contrat.

Vu les difficultés pouvant se poser dans le processus afférant aux modifications contractuelles et à l’évaluation de leur valeur, la solution proposée par le projet pilote permettra peut-être d’assurer la fluidité, tant recherchée, dans l’avancement des projets de construction. Seul l’avenir nous dira si cette innovation juridique connaîtra assez de succès pour qu’elle devienne la norme en matière de contrat public de construction.

  

[1]2414-9098 Québec inc. c. Pasagard Development Corporation, 2017 QCCA 1515, par. 22;  [2]Bâtiments Kalad’Art inc. c. 175934 Canada inc., 2002 CanLII 7705 (QCCS), par. 82;  [3]Société de cogénération de St-Félicien, société en commandite c. Industries Falmec inc., 2005 QCCA 441, par. 58; Birdair inc. c. Danny’s Construction Company Inc., 2013 QCCA 580, par. 194.  [4]Aluminerie Alouette inc. c. Construction du St-Laurent Ltée, 2003 CanLII 10112 (QCCA), par. 123.  [5]Art. 20 projet pilote.  [6]Art. 28 projet pilote.  [7]Art. 38 projet pilote.  [8]Art. 42 projet pilote.

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