Sommaires exécutifs 26 avr. 2024

Prolongation de chantier : comment bâtir une réclamation solide?

L’exécution d’un projet de construction n’est pas sans risque financier pour un entrepreneur général ni exempt de toute perturbation, notamment lorsque surviennent des modifications aux conditions d’exécution ou des demandes de changements de la part du donneur d’ouvrage. 

De tels événements peuvent non seulement entraîner des retards dans les échéances prévues au contrat, mais peuvent aussi compromettre la rentabilité d’un projet de construction dans son ensemble. Un entrepreneur n’est pas pour autant dépourvu de ressources. Il est donc essentiel que les gestionnaires de projet adoptent des mesures préventives en amont de la construction afin d’anticiper ces situations et les gérer efficacement.

Le droit applicable

Dans un contrat à forfait, l’entrepreneur est principalement assujetti à deux obligations fondamentales : (i) s’assurer que l’ouvrage qu’il construit pourra servir aux fins auxquelles il est destiné, et (ii) exécuter les travaux dans les délais contractuels convenus. Il s’agit d’obligations de résultat, et leur violation engage la responsabilité de l’entrepreneur envers le donneur d’ouvrage.  

Quoi qu’il en soit, l’entrepreneur ne peut pas tout contrôler sur un chantier. Le donneur d’ouvrage peut de son côté émettre des demandes de changements visant à modifier certains travaux à être réalisés. En pareilles circonstances, il est possible pour l’entrepreneur d’obtenir une compensation pour ces travaux imprévus. Voyons ce qu’il en est.

Pour un contrat à prix forfaitaire absolu, le législateur précise que le prix doit demeurer inchangé même si des modifications sont apportées aux conditions d’exécution initiales, à moins que les parties en aient convenu autrement . En revanche, pour un contrat à prix forfaitaire relatif, et lorsqu’expressément prévus, les changements apportés par le donneur d’ouvrage en cours d’exécution des travaux pourront, dans certains cas, justifier une modification du prix du contrat. 

Par conséquent, le droit de l’entrepreneur d’effectuer une réclamation pour des travaux supplémentaires est régi, d’une part, par le respect de la procédure de compensation prévue au contrat, sauf en présence de circonstances particulières, et d’autre part, par sa capacité à démontrer que ces travaux sont effectués à la demande du donneur d’ouvrage ou résultent de conditions d’exécution imprévues en raison d’ambiguïtés, de déficiences ou d’erreurs dans les plans et devis. 

Ultimement, l’entrepreneur doit démontrer que les retards survenus sur le chantier sont attribuables à des événements qui ne lui sont pas imputables. Pour ce faire, il doit établir un lien direct entre les retards sur l’échéancier causés par les changements et le cheminement critique des travaux. Ces causes ne doivent pas résulter de sa propre faute, ni de ses méthodes ou de sa gestion du chantier, ni de son choix de sous-traitants, ni de ses propres demandes auprès du donneur d’ouvrage; elles doivent lui être étrangères. 

Il nous faut donc mettre en place des outils modernes et efficaces qui permettent d’établir, en cours de travaux, des liens entre les retards engendrés par les nouvelles conditions de chantier et le cheminement critique des travaux. Il n’est plus approprié ni suffisant de tenir pour acquis que tout travail supplémentaire, retard, changement, problème, avenant ou modification, même imprévisible, entraîne systématiquement des délais additionnels sur la date finale des travaux. La quantité importante de demandes de changements ne se traduit pas automatiquement par un impact sur le cheminement critique. C’est pourquoi, grâce à la panoplie de programmes informatiques désormais disponibles, l’entrepreneur a aujourd’hui la liberté de choisir celui qui lui convient. Il peut ainsi évaluer chaque changement de manière isolée et en saisir les conséquences en temps réel sur son échéancier des travaux et sur son budget initial.

Quelques suggestions pratiques

Comme nous l’avons établi, l’entrepreneur assume les risques liés à l’exécution des travaux sur un chantier de construction, à l’exception de causes ne lui étant pas imputables. Pour ce faire, il est préférable d’anticiper les difficultés d’exécution potentielles avant le début des travaux et de bien comprendre les répercussions des changements qui pourraient survenir pendant l’avancement des travaux. 

Premièrement, nous suggérons d’analyser de manière proactive l’étendue des travaux à compléter à l’intérieur des échéances contractuelles. En ce sens, il relève des meilleures pratiques d’évaluer et de prévoir: les moyens, méthodes, techniques, séquences, procédés d’exécution des travaux, équipes et horaires de travail, équipements et outils, ainsi que les conditions de chantier. Cet exercice doit être mené en parallèle avec l’élaboration de l’échéancier de référence du projet et la détermination du cheminement critique de celui-ci. L’estimation des coûts du projet est un exercice sérieux qui nécessite une approche concrète. Ces prévisions devraient refléter les intentions de l’entrepreneur quant à la construction de l’ouvrage à être réalisé en fonction des termes et conditions du contrat. 

Deuxièmement, il est primordial d’établir et de maintenir un échéancier détaillé et fiable des travaux, précisant chaque activité de l’ouvrage et leur séquencement. Sans un tel échéancier, il sera très difficile, voire excessivement périlleux, pour l’entrepreneur de justifier une demande de compensation sans l’identification des activités de son échéancier qui en sont affectées et les coûts qui en découlent. La maîtrise de l’échéancier du projet est donc cruciale pour la préparation d’une réclamation fondée sur des modifications ou des imprévus en cours d’exécution des travaux.

Troisièmement, nous suggérons aux entrepreneurs de préparer un inventaire exhaustif, sous forme de tableau ou de liste, de tous les changements ou modifications apportés pendant la réalisation des travaux. Il est crucial d’indiquer le moment où ces changements ont été demandés par le donneur d’ouvrage ou ont été autrement requis, ainsi que les coûts estimés de ces changements. Cet inventaire devrait être intégré aux études de coûts (ou suivi des coûts) permettant d’identifier les dépassements de coûts, activité par activité, et de les comparer avec les budgets initialement prévus. Ces outils facilitent l’identification des activités déficitaires en temps réel et permettent aux gestionnaires de projet d’ajuster leur prestation contractuelle en cours de travaux. 

L’intégration de ces stratégies, tant en prévision qu’en cours de travaux, positionne l’entrepreneur de manière avantageuse pour individualiser et quantifier l’impact de chaque changement. Il sera ainsi en mesure d’établir une réclamation des coûts excédentaires liés au prolongement du chantier qui ne relève pas de sa responsabilité. Une telle demande de compensation pourra ainsi être présentée avec succès auprès du donneur d’ouvrage.

En conclusion, nous soulignons que bien que le contrat à forfait relatif puisse sembler contraignant pour l’entrepreneur, il ne permet pas pour autant au donneur d’ouvrage d’apporter tout changement, modification ou avenant en supposant que le coût initial pour la réalisation de l’ouvrage reste entièrement immuable. Ce type d’entente contractuelle exige donc une communication et une collaboration constante entre les différents intervenants afin d’éviter des situations litigieuses.