Sommaires exécutifs 16 sept. 2019
Les différentes approches législatives face au 5G
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Il est de plus en plus difficile de résister à l’attrait qu’exerce l’adoption universelle et très rapide d’une nouvelle technologie perturbatrice ainsi qu’à ses avantages indéniables. Les conséquences négatives peuvent toutefois être très préjudiciables. Les gouvernements peuvent choisir d’adopter des lois de façon préventive pour tenir compte des préoccupations de la société et protéger cette dernière avant même que la technologie ne voie le jour, ou légiférer pour accélérer la mise en œuvre de la technologie et régler en cours de route les problèmes sociaux qui surviennent.
Nous en sommes à ce point, en tant que société, par rapport à la technologie 5G. Les gouvernements doivent choisir quels intérêts ils veulent servir : ceux de l’industrie ou ceux des citoyens.
Dans notre premier article sur les incidences juridiques de la technologie 5G, nous avons fait référence aux avantages prévus de cette dernière et soulevé des questions de confidentialité, de sécurité, de santé et d’environnement. Dans ce deuxième article, nous examinons comment les gouvernements et les municipalités du monde entier approchent la technologie 5G d’un point de vue législatif. Les approches sont aussi variées que les cultures.
Dans le présent article, nous examinerons comment l’Europe et les États-Unis envisagent le déploiement d’une technologie de télécommunications moderne en légiférant de manière radicalement différente. Comme nous le verrons, les États-Unis semblent emprunter la voie de la déréglementation au nom du progrès, tandis que les pays européens font preuve de plus de retenue et de prudence dans l’adoption de leurs lois.
La décision déclaratoire de la FCC
En commençant par nos voisins du Sud, la Commission fédérale des communications (FCC), l’équivalent américain de notre CRTC, a rendu une décision déclaratoire à la fin de 20181 qui, entre autres choses, impose des délais beaucoup plus courts aux municipalités pour l’approbation des projets relatifs à la technologie 5G. En conséquence, les municipalités et les comtés des États-Unis n’ont plus que 60 jours pour donner le feu vert aux projets relatifs à la technologie 5G sur leur territoire. Comparé aux 150 jours qui étaient autorisés en vertu de la réglementation antérieure, ce nouveau délai laisse très peu de temps aux municipalités pour tenir des forums de consultation publique avec leurs citoyens et évaluer l’incidence potentielle de tels projets sur l’environnement et la santé. La FCC a justifié sa décision en précisant qu’elle était « engagée à faire sa part pour aider les États-Unis à remporter la course mondiale à la technologie 5G au profit de tous les Américains. »
Comme on pouvait s’y attendre, l’annonce de cette décision a suscité un vif mécontentement. Partout au pays, des villes ont exprimé leur inquiétude face à cette révision de la réglementation qui, même si elle est faite au nom de la simplification du processus, rend difficile l’obtention d’une vue d’ensemble et d’un suivi adéquat. Les municipalités contestant la décision de la FCC ont perdu un combat devant les tribunaux en janvier de cette année lorsque la Court of Appeals for the Tenth Circuit (cour d’appel du dixième circuit) des États-Unis a rejeté une requête visant la suspension de la décision déclaratoire. Les tribunaux ont déterminé que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils subiraient un préjudice irréparable si la décision était maintenue telle quelle.
Les défenseurs de la santé et de l’environnement ont subi un autre coup dur le 8 août 2019 lorsque la FCC a publié un avis dans lequel elle proposait de maintenir les normes actuelles de sécurité en matière d’exposition aux radiofréquences, suggérant implicitement que la norme était sans danger et s’appliquait au déploiement prochain de la technologie 5G. Cette proposition, qui fait suite à plus de six ans d’examen et de commentaires du public, est le fruit d’une étroite collaboration avec le Center for Devices and Radiological Health du Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques (FDA). Cet avis est également révélateur de la position du gouvernement américain en ce qui a trait à la sécurité de la technologie 5G ainsi que son manque d’appréhension à l’égard des préoccupations sur la santé et l’environnement exprimées par des membres de la communauté partout aux États-Unis.
Cependant, les événements ont pris une tournure inattendue et intéressante le 9 août 2019 lorsque la Cour d’appel américaine a discrédité une partie de la décision de la FCC qui ne tenait pas compte des examens de préservation de l’environnement et du patrimoine historique. Ses juges ont en effet écrit que ces examens visaient à « évaluer les effets des nouvelles constructions sur, entre autres choses, des sites d’importance religieuse et culturelle pour les tribus indiennes reconnues par le gouvernement fédéral ». Bien que cette décision judiciaire porte essentiellement sur les droits de propriété des Autochtones américains, elle a ouvert la porte à d’éventuelles poursuites menées par des groupes de protection environnementale.
Le Code des communications électroniques européen
Le 18 décembre 2018, après un processus législatif de près de deux ans, l’Union européenne (UE) a finalisé et publié son Code des communications électroniques européen (CCEE)2. L’objectif de ce code était de refondre complètement les lois sur les télécommunications des États membres de l’UE en les harmonisant et en assurant leur pérennité en vue, entre autres, de l’avènement de la technologie 5G. Le CCEE n’est pas un document législatif contraignant, mais ressemble plutôt à une convention, puisqu’il offre des suggestions sur la manière de légiférer et requiert que chaque État membre adopte ses propres lois.
Le texte du CCEE mentionne d’abord que son rôle principal est d’établir un cadre juridique pour que le déploiement de futurs réseaux de télécommunications à l’échelle de l’Europe respecte les lois et réglementations existantes, en particulier celles relatives à l’ordre public, à la sécurité publique et à la santé publique. Cette approche prudente dès les premières lignes du CCEE est très révélatrice du contenu de ce document de presque 200 pages.
Avec l’adoption récente du Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne, qui prévoit certaines des lois les plus strictes et les plus complètes au monde en matière de protection des données, il n’est pas surprenant que le CCEE contienne de nombreuses dispositions exigeant que les opérateurs de réseaux 5G conçoivent et entretiennent leurs réseaux en faisant de la confidentialité et de la sécurité des priorités. Par exemple, le CCEE permet aux États membres d’exclure, au nom de la sécurité nationale, les entreprises qui ne respectent pas leur cadre réglementaire et juridique.
Le CCEE impose également aux opérateurs de réseaux des directives visant une fiabilité sans faille. Un rapport de la Commission européenne sur la cybersécurité des réseaux 5G a recommandé des mesures de sécurité avancées puisque « le fait que de nombreux services critiques dépendent des réseaux 5G rendrait particulièrement graves les conséquences de perturbations systémiques et étendues ». Les services critiques mentionnés par la Commission faisaient référence à des communications fiables pour « le fonctionnement sûr et performant des véhicules et de leurs systèmes de communications embarqués »,une référence évidente aux véhicules autonomes.
Les questions relatives à la santé et à l’environnement, quant à elles, sont abordées de manière directe par le CCEE. Le document va jusqu’à déclarer explicitement qu’« il est impératif de veiller à ce que les citoyens ne soient pas exposés à des champs électromagnétiques d’un niveau nuisible pour la santé publique ». Il souligne également la nécessité de déployer « de façon équitable, efficace et écologiquement responsable » les nouveaux réseaux dans l’ensemble du continent. Les États membres ont même le droit explicite de limiter le déploiement de nouveaux réseaux « pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique », si cette limitation est expliquée et justifiée par l’État en question. Bien que chaque État puisse choisir de limiter ou de contrôler le déploiement de la technologie 5G sur son territoire, ce pouvoir n’est pas toujours aussi évident pour les autorités locales au sein de ces États.
Quelques juridictions européennes ont déjà interrompu des tests relatifs à la technologie 5G au nom de la sécurité publique. En avril dernier, le gouvernement belge a décidé de suspendre temporairement un projet pilote de réseau 5G à Bruxelles, parce qu’il craignait que la technologie ne dépasse les limites de radiations imposées par la ville. En Suisse, le canton de Genève a émis un ordre d’arrêt similaire en ce qui concerne le déploiement d’antennes 5G pour des raisons liées à la santé et à l’environnement. Le gouvernement fédéral suisse ayant compétence exclusive dans le domaine des télécommunications, la bataille juridique qui s’annonce entre l’État et les collectivités locales devrait s’avérer intéressante.
Tonia Antanazzi, une députée britannique, s’est récemment exprimée à la Chambre des communes lors d’un débat parlementaire sur l’adoption de la technologie 5G au Royaume-Uni. Selon elle, « la technologie est merveilleuse et offre de nombreux avantages à tous, mais nous ne pouvons pas continuer de nier qu’elle a des répercussions sur la santé et le bien-être de certaines personnes ». Elle a ajouté qu’une réglementation prudente « ne signifie pas d’arrêter le progrès, mais de s’assurer que la technologie n’entraîne pas de problèmes de santé tout en faisant ce qui est le mieux pour les électeurs ». Ce témoignage notable montre bien le type de débat qui a cours en Europe et est très révélateur de la manière dont l’adoption de la technologie 5G est traitée différemment outre-Atlantique.
Trouver le juste équilibre entre progrès et prudence demande beaucoup de doigté.
Les différents acteurs impliqués ont leurs propres programmes, intérêts, ressources et volontés. Dans un prochain article, nous examinerons l’environnement législatif canadien en ce qui concerne le déploiement de la technologie 5G.
1https://www.fcc.gov/document/fcc-facilitates-wireless-infrastructure-deployment-5g
2https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32018L1972
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