Sommaires exécutifs 17 juin 2025
Les conteneurs maritimes et les municipalités
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Peut-on laisser un conteneur maritime indéfiniment sur son terrain, sans permis et sans autorisation de la municipalité? Voilà la question que s’est posée la Cour municipale de Montréal en octobre dernier, alors que la Ville de Montréal reprochait à 168244 Canada inc. (la « défenderesse ») d’avoir installé un conteneur sur son terrain sans avoir obtenu un certificat d’autorisation d’aménagement paysager.
Le 8 mars 2022, la Ville de Montréal reçoit une plainte concernant un conteneur maritime à une adresse située dans l’arrondissement de Ville-Marie, au nord de la rue Sherbrooke.
L’inspecteur du cadre bâti pour l’arrondissement vérifie le registre des permis et des certificats, mais il ne trouve rien concernant un conteneur maritime à cette adresse.
Il se présente sur les lieux et trouve, à l’arrière du bâtiment, un conteneur maritime ayant une longueur de 20 pieds, une hauteur de 9 pieds, et une largeur de 8 pieds. Le conteneur est glissé entre le mur arrière d’un bâtiment et la clôture qui délimite le fond de la propriété, ce qui laisse un espace d’environ 30 cm. Le conteneur est fermé sur le dessus et sur tous les côtés. L’inspecteur prend des photos.
Selon le rôle d’évaluation, le bâtiment principal est détaché et date de 1940. Il est classé comme un bâtiment commercial et appartient à l’entreprise 168244 Canada inc.
Le 11 mars 2022, l’inspecteur écrit une lettre à l’entreprise pour l’aviser qu’il a constaté une infraction à l’article 110 du Règlement d’urbanisme de l’arrondissement de Ville-Marie (le « Règlement d’urbanisme »), soit le défaut d’avoir obtenu une autorisation pour l’installation d’une dépendance de 15 m² ou moins dans le secteur de l’arrondissement Ville-Marie situé au nord de la rue Sherbrooke.
Il explique qu’un certificat d’autorisation est requis. Un délai est accordé pour remédier à la situation.
Le 22 mars 2022, un avocat communique avec l’inspecteur pour expliquer que le conteneur est protégé par droits acquis. Le 26 avril 2022, il fait parvenir une preuve démontrant que le conteneur a été acheté le 1er mai 2012.
Le 6 juillet 2022, l’inspecteur constate que le conteneur est au même endroit. Il remet un constat d’infraction à la défenderesse pour avoir contrevenu aux articles 41 et 75 du Règlement sur les certificats d’autorisation et d’occupation interdisant d’installer, de faire installer, de laisser une personne installer, de maintenir ou de laisser une personne maintenir la construction, l’installation ou l’aménagement des aménagements paysagers, sans qu’un certificat d’autorisation d’aménagements paysagers n’ait été délivré. L’infraction est passible, pour une personne morale, d’une amende de 2 000 $ pour une première infraction et d’une amende de 4 000 $ pour une récidive.
L’entreprise 168244 Canada inc. plaide non coupable. Au moment de l’instruction, la défenderesse n’avait pas fait de demande de certificat d’autorisation et le conteneur était encore au même endroit.
Un conteneur maritime est-il un aménagement paysager?
À première vue, on pourrait penser qu’un conteneur n’est pas un aménagement paysager. Le sens usuel de cette expression évoque un embellissement du paysage. Il faut toutefois utiliser la définition contenue dans la réglementation municipale.
L’expression, évoquée à l’article 41 du Règlement sur les certificats d’autorisation et d’occupation, est expliquée à l’article 40 du même règlement :
Aux fins de la présente section, l’expression « aménagements paysagers » signifie les travaux visés à l’article 110 du règlement d’urbanisme, les clôtures visées au premier alinéa de l’article 21 du Règlement sur les clôtures (CA-24-225) et l’installation d’une clôture dans l’espace compris entre une façade et l’emprise de la voie publique, à l’exception d’une clôture temporaire de chantier, ainsi que l’aménagement d’une surface revêtue au sol imperméable d’une superficie excédant 1 000 m².
L’installation d’un conteneur correspond à « l’installation […] d’une dépendance de 15 m² ou moins […] » (article 110 du Règlement d’urbanisme). Une dépendance est un « bâtiment […] occupé par un usage accessoire, nécessaire ou utile au fonctionnement de l’usage principal d’un terrain ou d’un bâtiment et situé sur le même terrain, y compris une aire d’entreposage […] » (article 5 du Règlement d’urbanisme).
Par conséquent, le conteneur maritime en litige de 14,88 m² est un « aménagement paysager » au sens de l’article 41 du Règlement sur les certificats d’autorisation et d’occupation.
La présence du conteneur est-elle protégée par un droit acquis?
Le titre VII du Règlement d’urbanisme prévoit la reconnaissance de droits acquis pour des usages ou constructions dérogatoires.
Selon l’article 665, un « usage dérogatoire est protégé par droits acquis si à un moment de son existence il était conforme à la réglementation en vigueur. »
D’après l’article 696, une « construction dérogatoire est protégée par droits acquis si, à un moment de son existence, elle était conforme à la réglementation en vigueur. »
La défenderesse soutient que l’article 110 du Règlement d’urbanisme, en vigueur seulement depuis 2013, ne pouvait s’appliquer en 2012, au moment de l’achat et de l’installation du conteneur. Celui-ci a d’ailleurs servi à entreposer des archives pour un cabinet d’avocats.
La défenderesse affirme que l’article 118.1 du Règlement d’urbanisme de 2012 exigeait uniquement une autorisation pour l’installation d’une dépendance à usage résidentiel, et non commercial. Selon ses prétentions, l’installation du conteneur était conforme à la réglementation alors en vigueur, et par conséquent, elle est protégée par un droit acquis. Voici ce qui est énoncé dans l’article 118.1 :
Dans l’arrondissement historique et naturel du Mont-Royal et dans le secteur du mont Royal, nul ne peut sans avoir préalablement obtenu un permis effectuer les travaux suivants :
1. la construction, l’installation, la transformation ou l’enlèvement d’une clôture au sens du Règlement sur les clôtures (R.R.V.M., chapitre C-5);
2. la construction, l’installation, la transformation, l’enlèvement ou la démolition de toute dépendance résidentielle ou de tout escalier;
3. l’aménagement d’une rampe d’accès, d’un débarcadère ou tout autre chemin privé véhiculaire ou piéton.
Toutefois, la cour ne retient pas ce raisonnement. Elle renvoie plutôt aux articles 32 et 33 du Règlement sur la construction et la transformation de bâtiments, également en vigueur en 2012.
L’article 32 énonce ce qui suit :
Il est interdit d’effectuer sans permis :
1° la construction d’un bâtiment;
2° la transformation d’un bâtiment au sens du Code;
3° la modification, le remplacement ou l’ajout d’un élément de construction d’un bâtiment qui est visé par un règlement de zonage, un plan d’implantation et d’intégration architectural ou tout autre réglementation municipale;
[…]
L’article 33 précise ce qui suit :
Malgré l’article 32 :
1° un permis n’est pas requis pour l’installation ou la construction d’un bâtiment temporaire sur un chantier nécessaire à la réalisation de travaux pour lesquels un permis a déjà été délivré. Un tel bâtiment doit être enlevé au plus tard à la première des échéances suivantes :
a) 30 jours après la fin des travaux relatifs au permis;
b) immédiatement après la révocation du permis;
c) à la date d’expiration du permis;
2° un permis n’est pas requis pour l’installation, la construction ou l’agrandissement d’un bâtiment secondaire, dont la superficie totalise au plus 15 m2, qui dessert un bâtiment résidentiel.
La réglementation exemptait de l’autorisation municipale les conteneurs installés temporairement pendant des travaux ainsi que les cabanons de jardin typiquement installés derrière les maisons d’habitation. En revanche, cette exemption ne s’appliquait pas aux conteneurs maritimes permanents.
La cour trouve la défenderesse coupable de l’infraction et la condamne à payer une amende de 2 000 $.
Laisser un conteneur maritime indéfiniment sur son terrain, sans autorisation de la municipalité, est généralement illégal. Peu importe qu’on qualifie ce conteneur maritime de construction dérogatoire ou d’usage dérogatoire, il n’est protégé par un droit acquis que si, à un moment de son existence, il était conforme à la réglementation en vigueur. Cependant, force est de constater que c’est rarement le cas. Le conteneur maritime est un équipement conçu pour le transport maritime, ferroviaire ou routier, ou pour la réception et l’enlèvement des déchets en cas de rénovation ou de démolition. Il ne constitue pas une installation permanente du paysage urbain. Avant d’installer un conteneur maritime, le propriétaire devrait demander à la municipalité si une autorisation est nécessaire ou consulter des avocats.