Sommaires exécutifs 11 févr. 2021
La Cour suprême du Canada marque un pas de plus vers le principe directeur de bonne foi en matière d’exécution des contrats
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La Cour suprême du Canada a rendu récemment une importante décision concernant l’obligation d’exécution honnête des contrats de common law. En appel de la Cour d’appel de l’Ontario, l’arrêt CM Callow Inc. c. Zollinger marque, pour le plus haut tribunal au pays, un pas de plus vers la solidification du principe directeur de bonne foi à titre de norme cardinale en matière d’exécution des contrats en common law.
Cet arrêt fait suite à l’arrêt Bhasin c. Hrynew, une décision d’envergure à l’occasion de laquelle la Cour suprême du Canada (la « CSC ») tentait de rendre cohérente et équitable la common law par la reconnaissance du principe directeur de bonne foi. Ainsi, depuis 2014, ce principe est d’application générale en matière de contrats de common law et se manifeste par le biais de multiples règles plus spécifiques, chacune étant applicable à différentes situations et types de relations. L’une de ces manifestations, également développée dans le cadre de l’arrêt Bhasin, est l’obligation d’exécution honnête des contrats. En vertu de celle-ci, les parties ne doivent pas se mentir ni autrement s’induire intentionnellement en erreur au sujet de questions directement liées à l’exécution du contrat.
Dans l’affaire CM Callow Inc. c. Zollinger (« l’arrêt CM Callow Inc. »), la CSC était amenée à statuer sur la portée de cette obligation, notamment quant à l’épineuse question de la nécessité pour les parties à un contrat de prendre en compte les intérêts de leur cocontractant. En droit civil québécois, l’arrêt CM Callow Inc. suscite un intérêt particulier en raison du parallèle – pour ne pas dire du rapprochement – qu’amorce la CSC entre l’obligation d’exécution honnête des contrats et notre notion d’abus de droit.
Les faits en litige et les décisions antérieures
En 2012, Baycrest, un groupe d’associations condominiales regroupant les parties intimées, conclut avec l’appelante CM Callow Inc. (« Callow ») un contrat d’entretien hivernal d’une durée de deux ans (le « Contrat ») ainsi qu’un contrat distinct d’entretien estival visant les différentes propriétés des Intimées. En vertu d’une clause du Contrat, Baycrest avait le droit de résilier le Contrat sans préavis si le service rendu par Callow s’avérait insatisfaisant. Baycrest avait aussi le droit, selon la même clause, de résilier le Contrat pour toute autre raison en donnant un préavis écrit de 10 jours à Baycrest. Des discussions ont eu lieu entre les parties entre le printemps et l’été 2013 en vue du renouvellement du Contrat et, à l’été 2013, Callow exécutait gratuitement des travaux d’entretien allant au-delà de son contrat d’entretien estival dans le but d’encourager Baycrest à renouveler le Contrat. Dans ce contexte, Callow affirme qu’elle croyait que Baycrest allait probablement consentir au renouvellement du Contrat. À la surprise de Callow, en septembre 2013, Baycrest annonce à Callow sa décision de résilier le Contrat en vue de l’hiver prochain. Or, la preuve au procès démontre que Baycrest avait pris la décision de résilier le Contrat dès mars ou avril 2013, mais avait choisi de ne pas aussitôt en informer Callow. Callow allègue la violation du Contrat par Baycrest au motif que celle-ci a agi contrairement aux exigences de la bonne foi, notamment à l’obligation d’exécution honnête du Contrat, en acceptant des services gratuits tout en sachant que Callow les offrait pour maintenir leur relation contractuelle future.
La juge de première instance a considéré que Baycrest a activement trompé Callow dès sa prise de décision en mars ou avril 2013 et lui a volontairement caché sa décision pour que celle-ci exécute le contrat d’entretien estival en sachant qu’elle assumait des tâches additionnelles dans le seul espoir d’obtenir le renouvellement du Contrat. La juge y a dénoté la mauvaise foi de Baycrest et l’a condamnée à des dommages-intérêts. La Cour d’appel de l’Ontario, même si elle a reconnu que Baycrest a agi en toute connaissance de cause, a annulé le jugement de première instance au motif que l’obligation d’exécution honnête de l’obligation ne pouvait avoir une telle portée.
L’obligation d’exécution honnête s’étend-il à l’omission ou au silence?
La majorité des juges de la CSC considère que Baycrest, même si elle a respecté le délai de 10 jours prévu au Contrat, s’est prévalu malhonnêtement de la clause de résiliation puisqu’elle a intentionnellement induit Callow en erreur en l’amenant à croire que le Contrat ne serait pas résilié. Baycrest a donc manqué à son obligation d’honnêteté quant à une question directement liée à l’exécution du Contrat et c’est à bon droit que la juge de première instance a conclu en la violation du Contrat.
L’obligation d’exécution honnête des contrats exige que les parties à tout contrat ne se mentent pas ni ne s’induisent autrement en erreur au sujet de questions liées à l’exécution du contrat. Même en l’absence d’une obligation positive de divulgation, dans la situation où une partie ment ou induit intentionnellement son cocontractant en erreur, cette partie a l’obligation de corriger la fausse impression créée par ses propres gestes. Tant l’obligation d’exécution honnête que l’obligation d’exercer des pouvoirs discrétionnaires de bonne foi exigent qu’une partie prenne en compte les intérêts contractuels légitimes de son cocontractant, sans toutefois requérir qu’elle subordonne ses propres intérêts à ceux de son cocontractant à la manière d’un fiduciaire.
Cela dit, l’obligation d’exécution honnête est une doctrine du droit des contrats distincte des autres domaines du droit relatif aux conséquences juridiques de la tromperie. Par conséquent, sa sanction nécessite un lien avec la relation contractuelle. Un manquement devra être directement lié à l’exécution du contrat. L’obligation d’exécution honnête s’applique à l’exécution de tous contrats et, donc, à tous les droits et obligations qui en découlent. Sans restreindre en soi le droit d’une partie à résilier son contrat, aucun droit ne peut être exercé malhonnêtement et contrairement aux exigences de la bonne foi. Bien que des similitudes existent avec la fraude civile et la préclusion, un manquement à l’obligation d’exécution honnête ne constitue pas un délit civil et ne requiert pas que l’on démontre que la partie blâmée avait l’intention que son cocontractant s’appuie sur ses fausses déclarations. À ce titre, la doctrine de l’abus de droit issue du droit civil québécois est plus utile afin d’illustrer le lien exigé. Le lien direct existe lorsqu’une partie s’acquitte de son obligation ou exerce son droit prévu au contrat de façon malhonnête, ce qui revient à contrevenir aux exigences de la bonne foi.
Les exigences d’honnêteté vont plus loin que l’interdiction de mensonges et peuvent comprendre des demi-vérités, des omissions et même du silence; cette question demeurant éminemment factuelle.
En l’espèce, même si Baycrest avait un droit absolu de résilier le Contrat moyennant un préavis de 10 jours, ce droit devait être exercé honnêtement. Or, Baycrest a sciemment induit Callow en erreur et cette tromperie était directement liée à l’exécution du Contrat parce que c’est son recours à la clause de résiliation qui fut malhonnête. Baycrest n’avait pas l’obligation autonome et positive de divulguer son intention de résilier, mais elle devait éviter d’induire Callow en erreur dans son recours à cette clause. Elle ne pouvait donc pas faire de fausses représentations à Callow et lui laisser croire qu’elle était satisfaite de son travail.
Dans un tel contexte, il était raisonnable que Callow déduise que le Contrat n’était pas en péril et, puisqu’elle a omis de corriger la méprise de Callow causée par ses fausses représentations, Baycrest a manqué à son obligation d’agir de bonne foi. La perte d’occasion qui a résulté de ce manquement donne donc droit à des dommages-intérêts.
La question des dommages-intérêts
L’obligation d’exécution honnête donne lieu à des dommages-intérêts lorsqu’un droit a été exercé de manière malhonnête, le tout en conformité avec les règles habituelles applicables en matière contractuelle. Les dommages visent donc à compenser la perte de profit escompté et ainsi placer la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée si son cocontractant avait satisfait à son obligation. Aucune raison ne justifie une réparation du préjudice au moyen de dommages-intérêts fondés sur la confiance, ceux-ci étant conceptuellement distincts des dommages-intérêts fondés sur l’attente. Ce faisant, la CSC a accueilli le pourvoi et a rétabli le jugement de première instance.
Motifs concordants : les principes de common law s’appliquent
Selon des motifs concordants, le juge Brown, avec l’accord des juges Moldaver et Rowe, est d’avis que l’approche des juges majoritaires est erronée en ce que ceux-ci se fondent sur la notion d’abus de droit issue du droit civil québécois et, ce faisant, faussent l’analyse décrite dans l’arrêt Bhasin, applicable en l’espèce. Selon lui, cette approche mine la distinction entre l’exécution honnête et la bonne foi dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel. En présence de principes de common law déterminants et bien établis, rien ne justifie qu’on s’inspire de notions juridiques externes. Comme la demande n’est pas fondée sur la perte de la valeur de l’exécution du contrat, mais plutôt sur la confiance qu’une partie a accordée aux déclarations malhonnêtes de son cocontractant, l’intérêt qui est protégé en est un lié à la confiance. À ce niveau, les principes propres à la préclusion et à la faute civile trouvent application et, peu importe l’intention de la partie fautive, son cocontractant n’a qu’à établir qu’il n’aurait pas subi de perte, n’eût été la confiance qu’il a accordée aux déclarations trompeuses.
Motifs dissidents : la stabilité des contrats doit prévaloir
La juge Côté est dissidente et estime que le recours de Callow devrait être rejeté puisque le comportement de Baycrest ne correspond pas à un manquement à l’obligation d’exécution honnête des contrats. Selon la juge, les obligations découlant de l’exécution honnête des contrats ne peuvent qu’être négatives afin de ne pas compromettre la stabilité des opérations commerciales. Ainsi, le silence ne peut être considéré comme malhonnête seulement lorsqu’il existe une obligation positive de parler. Or, en l’absence d’une obligation de divulgation, une telle obligation positive de corriger les croyances erronées d’un cocontractant ne peut exister que si on a contribué de façon significative à cette croyance.
Une évolution de la common law marquée par le droit civil québécois
L’arrêt CM Callow Inc. représente donc une évolution intéressante de la common law marquée par une association avec le droit civil québécois. Cela dit, comme le souligne d’ailleurs la Cour, la notion d’abus de droit n’y est évoquée qu’à titre illustratif et, compte tenu des assises fondamentalement distinctes sur lesquelles reposent les deux systèmes de droit canadiens, il est possible de soulever un sérieux doute quant à l’application éventuelle des principes énoncés dans cet arrêt en droit civil québécois. Il demeurera tout de même intéressant de constater quelle portée les tribunaux québécois et canadiens conféreront à cette décision.
Soulignons que la CSC démontre être bien consciente de l’incertitude que pourrait créer un élargissement démesuré de l’obligation d’exécution honnête des contrats. Contrairement à la juge Côté, qui dénote un souci marqué pour la stabilité des opérations commerciales, il s’agit là d’une limite que les juges majoritaires estiment ne pas franchir par cet arrêt.
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