Sommaires exécutifs 3 juin 2021

Les enjeux de propriété intellectuelle du secteur aéronautique et spatial

Le système de brevets, tantôt décrié, tantôt assumé en tant qu’outil juridique puissant de contrôle et de valorisation des inventions, perdure et prospère. Au-delà des fabricants d’aéronefs, l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement est entré dans cette course aux armes juridiques.

Patrice Cros (Air & Cosmos) est coauteur du présent article tiré du magazine AIR&COSMOS | No 2737 | 28 mai 2021 | Dossier préparé et structuré par Patrice Cros.

La propriété intellectuelle (PI)1 et le secret industriel ont toujours joué un rôle clé dans la création et le développement de l’industrie aéronautique et spatiale. La course à qui inventerait et déposerait les brevets en premier, sésame pour empêcher les autres de produire ou commercialiser une invention, remonte aussi loin que Clément Ader et les frères Wright. Bien qu’Ader ait déposé son brevet d’invention sur un concept d’avion dès 1890, il a fallu attendre 1906 pour que les frères Wright obtiennent leur propre brevet sur une méthode de contrôle de vol. Ce brevet, et plusieurs autres, établirent les fondations de ce qui deviendra la guerre des brevets menée par les frères Wright pour tenter d’asseoir leur monopole sur la fabrication des aéronefs aux États-Unis. Cette guerre donna lieu à de nombreux litiges et incitera l’industrie à créer un mécanisme de licences croisées permettant de ne pas paralyser l’industrie tout en reversant une partie « juste et raisonnable » des profits aux détenteurs des brevets.

Le système des brevets, tantôt décrié, tantôt assumé en tant qu’outil juridique puissant de contrôle et de valorisation des inventions, perdure et prospère, y compris dans l’industrie aéronautique. Les dernières décennies ont vu les mastodontes de cette industrie se constituer de gigantesques portefeuilles de brevets, véritable monnaie d’échange dans le cadre de « patent pool » permettant la commercialisation des technologies les plus récentes. Au-delà des fabricants d’aéronefs, l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement est entré dans cette course aux armes juridiques. Bien au-delà de l’effet d’annonce entourant la publication des tailles de portefeuilles de brevets (en France, Safran, Airbus et Thalès se classent parmi les 10 plus gros déposants annuellement) ou ceux à des fins trompeuses comme dans le cas du Boeing Sonic Cruiser en 2002, les enjeux sont avant tout stratégiques et financiers : qui contrôlera les technologies de demain et surtout, quelle part des profits sera redistribuée à qui.

L’exemple de l’âpreté des discussions autour de répartition de la PI entre industriels sont là pour témoigner de la criticité de ce découpage de territoire industriel et commercial, et donc de la souveraineté sur les « intangibles ». La DGA n’a pas externalisé la négociation des droits de PI dans le cadre du SCAF. Comme dans l’industrie automobile, les tensions autour de la propriété intellectuelle ne se limitent pas aux relations entre concurrents mais affectent les relations entre intégrateurs et fournisseurs de systèmes. Ainsi de l’intérêt d’un motoriste ou d’un équipementier à contrôler pleinement la PI entourant son système afin de préserver sa pleine liberté de le commercialiser (« freedom to operate ») à différents clients, et maintenir ainsi ses marges de profit.

De nouveaux domaines émergents

L’industrie aéronautique a vu l’émergence ces dernières années de nouveaux domaines, par exemple celui des drones civils et militaires, ainsi qu’une nouvelle effervescence dans la conquête spatiale. Les statistiques de dépôts de brevets dans ces deux domaines sont sans équivoque : la Chine monte en flèche. Son leadership technologique s’appuie désormais sur de vastes portefeuilles de brevets qui sont autant de barrières à l’entrée pour le reste du monde. Ces portefeuilles de brevets consultables publiquement ne forment que la partie visible des efforts actuels massifs de recherche et développement. La partie immergée est constituée des secrets industriels, le savoir-faire dont la confidentialité est contrôlée par des instruments législatifs (par exemple, la Loi anti-concurrence déloyale en Chine, la directive sur le secret des affaires en Europe) ou contractuels (accords de non-divulgation).

Le secret industriel est d’ailleurs la forme préférée de valorisation de la propriété intellectuelle de SpaceX – après le méthodique « brain drain » des inventeurs/ingénieurs de la NASA - du moins le temps que ses concurrents ne deviennent de réelles menaces et commencent à constituer leur propre portefeuille de brevets.

Bref, l’histoire ne finit pas de se répéter…

1La propriété intellectuelle comprend la propriété industrielle (brevets, marques, dessins et modèles, noms de domaines) et la propriété littéraire et artistique (droits d’auteur et droits voisins).

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