Sommaires exécutifs 9 févr. 2023

« Juste valeur » ou « Juste valeur marchande » : quel concept appliquer dans un litige entre actionnaires?

Un principe fort répandu en droit des sociétés veut que la valeur des actions des différents actionnaires d’une même société puisse varier selon la détention d’actions et/ou la position de contrôle de ces derniers.

Par exemple, dans certains cas, un escompte pourra être appliqué à la valeur des actions détenues par un actionnaire minoritaire d’une société lorsqu’un actionnaire majoritaire ou un tiers s’apprête à les acquérir. C’est ce que l’on appelle l’«escompte pour participation minoritaire».

Or, un tel escompte ne s’applique pas automatiquement, surtout pas dans le cadre d’un litige entre actionnaires.

Nous préciserons donc, dans le présent texte, le cadre d’application de ces escomptes pour participation minoritaire dans un contexte de litige entre actionnaires d’une société.

Nous clarifierons également ce en quoi consistent les concepts de «juste valeur» et de «juste valeur marchande», lesquels sont souvent confondus par leurs utilisateurs quant à leur application dans le cadre de la détermination de la valeur des actions d’un actionnaire minoritaire impliqué dans un litige entre actionnaires.

L’escompte pour participation minoritaire: un moyen d’attirer les investisseurs

Une participation minoritaire au sein d’une société consiste à ce qu’un actionnaire détienne 50% ou moins des actions votantes de ladite société faisant ainsi en sorte qu’il ne puisse, sans l’existence d’une convention entre actionnaires lui conférant des droits supplémentaires, nommer une majorité d’administrateurs au sein du conseil d’administration et ainsi contrôler la société.

Les actionnaires minoritaires ont ainsi une participation restreinte dans la société alors qu’ils n’exercent qu’un contrôle limité sur plusieurs éléments, tels que, de manière non limitative:

  • l’élection des administrateurs;
  • la nomination des dirigeants;
  • la fixation de la rémunération de ces derniers;
  • l’émission d’actions;
  • le versement de dividendes;
  • la gestion des actifs de la société, etc.

Ce manque de contrôle de l’actionnaire minoritaire dans les décisions de la société peut lui causer de la difficulté à vendre ses actions de la société.

De même, dans les entreprises familiales, la vente des actions minoritaires est d’autant plus complexifiée en raison de la proximité entre les actionnaires majoritaires, situation qui peut avoir pour conséquence de rendre moins attrayante pour un tiers externe l’acquisition d’une participation minoritaire d’une telle société.

Pour ces raisons, un escompte pour participation minoritaire peut alors être appliqué à la juste valeur marchande des actions de cet actionnaire minoritaire qui souhaite se départir de ses actions.

La juste valeur marchande des actions se résume à la valeur qu’il est possible d’obtenir sur un marché libre entre des parties qui n’ont pas de lien de dépendance entre elles alors que la juste valeur des actions consiste plutôt en la valeur qui est juste et équitable selon les circonstances.

Concrètement, l’absence de contrôle d’un actionnaire dans la société a une incidence à la baisse sur la valeur des actions qu’il détient, d’où l’escompte pour participation minoritaire. Ainsi, cet escompte pour participation minoritaire aura pour conséquence d’inciter un investisseur à acquérir des actions minoritaires dans une société pour laquelle il n’aura peu ou pas de contrôle.

Or, il existe certaines situations lors desquelles, malgré qu’il y ait acquisition d’une participation minoritaire, la réduction, sous forme d’escompte du prix de vente de ladite acquisition, ne sera pas de mise, notamment lorsqu’un actionnaire minoritaire est victime d’actes oppressifs de la part de la société et/ou d’un co-actionnaire.

L’application d’un escompte pour participation minoritaire dans le cadre d’un recours en oppression

Les tribunaux jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire en vertu des lois corporatives que sont la Loi sur les sociétés par actions du Québec et la Loi canadienne sur les sociétés par actions, et ce, principalement dans le cadre d’un recours en oppression introduit par un actionnaire minoritaire victime d’actes répréhensibles de la part des administrateurs, de la société et/ou des autres actionnaires.

À titre d’exemple, si la conduite fautive le justifie, un tribunal pourrait ordonner le rachat par la société ou les autres actionnaires des actions de l’actionnaire minoritaire victime d’oppression.

Mais, dans un tel cas, comment sera établie la valeur des actions à laquelle l’actionnaire minoritaire victime d’oppression devra les vendre?

Bien que la valeur des actions dans un contexte de rachat ou d’achat des actions par suite d’un recours en oppression soit laissée à la discrétion du tribunal, le demandeur actionnaire minoritaire doit, par ses conclusions, demander à la Cour d’appliquer le critère de la «juste valeur». Cette dernière consiste en une valeur qui est juste et équitable selon les circonstances et non, comme nous le constatons malheureusement trop souvent, le critère de la «juste valeur marchande», lequel prend en considération un escompte pour participation minoritaire.

En effet, l’actionnaire minoritaire qui requiert de la Cour le rachat ou l’achat de ses actions à leur juste valeur obtiendra plus pour celles-ci que s’il requérait que l’achat ou le rachat de ses actions se fasse à leur juste valeur marchande.

Toutefois, il importe de souligner que le pouvoir discrétionnaire dont jouissent les tribunaux n’empêche aucunement un juge de décider qu’en raison d’une situation factuelle particulière, la valeur des actions d’un actionnaire minoritaire la plus juste à appliquer est celle de la juste valeur marchande, laquelle comporterait alors une prime ou un escompte qu’il jugerait approprié d’appliquer selon les circonstances.

Par exemple, il ressort de la jurisprudence qu’un escompte pour participation minoritaire sera appliqué sur la valeur des actions de l’actionnaire minoritaire notamment lorsque ce dernier a eu une conduite justifiant son exclusion de la société, lorsqu’il a lui-même posé des actes oppressifs à l’égard des autres actionnaires ou lorsqu’aucun geste abusif et/ou oppressif n’a été posé à l’égard de celui-ci par les autres parties.

Bref, l’évaluation de la valeur des actions d’un actionnaire minoritaire dans le contexte d’un conflit entre actionnaires n’obéit à aucun automatisme: tout dépend du contexte et des faits du dossier.

Pour toute question sur les enjeux en matière de conflits entre actionnaires, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe de litiges entre actionnaires qui se fera un plaisir de vous aider.

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