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Nov 26, 2025

5 min à lire

Les excuses en cas de diffamation : une solution plus symbolique que juridique?

La référence RH par Thomson Reuters

Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation Chronique – Les excuses en cas de diffamation : une solution plus symbolique que juridique ? (numéro EYB2025REP3881).

Me Julien Tricart, associé chez BCF est membre du groupe litige civil et axe sa pratique sur le litige civil et commercial, le droit de la construction et la responsabilité professionnelle. Me Sarah Leclerc, avocate au sein du même cabinet, est membre du groupe litige civil et commercial. Les auteurs désirent remercier Rosa-Li Hébert, étudiante au Barreau du Québec, pour sa collaboration à la rédaction du présent texte.

À l’ère du numérique où chaque individu peut devenir éditeur d’un simple clic, les propos diffamatoires trouvent un terreau fertile, notamment sur les réseaux sociaux et les plateformes de diffusion. La mise en ligne d’une simple publication ou d’un simple commentaire peut toutefois entraîner de graves conséquences juridiques, ces gestes laissant une trace numérique difficile à effacer et susceptible d’être largement diffusée en peu de temps. 

Particulièrement à l’ère des réseaux sociaux, la partie victime de propos diffamatoires souhaitera parfois obtenir la rétractation publique des propos en question, notamment dans l’objectif de minimiser les impacts sur sa réputation. Or, en l’absence d’excuses volontaires, une telle solution peut-elle être obtenue par voie judiciaire?

1. Qu’est-ce que la diffamation?

Au Québec, les tribunaux reconnaissent qu’une atteinte à la réputation peut survenir de trois manières :

  • Lorsqu’une personne tient des propos désagréables en sachant qu’ils sont faux;
  • Lorsqu’une personne diffuse des informations désagréables ou préjudiciables sur autrui alors qu’elle devrait savoir qu’elles sont fausses;
  • Lorsqu’une personne tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers.

La diffamation désigne donc toute communication, verbale ou écrite, qui porte injustement atteinte à la réputation d’autrui et qui est susceptible de susciter le mépris, la haine ou le ridicule à son égard.

Quelle que soit sa forme, l’exercice d’un recours en diffamation est tributaire du respect des principes généraux de la responsabilité civile : ce dernier exige la démonstration de l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué. Au Québec, le recours en diffamation est également soumis à un délai de prescription d’un an (soit plus court que le délai de prescription général de trois ans), lequel commence à courir dès le moment où la personne lésée prend connaissance des propos diffamatoires.

2. Un tribunal peut-il contraindre l’auteur des propos diffamatoires à présenter ses excuses?

Dans un contexte de diffamation, la formulation d’excuse peut constituer dans bien des cas une « réparation » symbolique et réparatrice pour la partie victime des propos fautifs. Cela dit, sur le plan juridique, la possibilité pour un tribunal d’ordonner la présentation d’excuses à la partie lésée peut soulever des enjeux importants. De façon générale, les tribunaux québécois sont plutôt réticents à émettre de telles ordonnances. 

Cette réserve s’explique notamment par l’absence de bases juridiques explicite autorisant un tribunal à ordonner la présentation d’excuses. En effet, aucun texte législatif ne prévoit expressément une telle mesure, à la différence, par exemple, de l’octroi de dommages-intérêts.

Qui plus est, il est légitime de se questionner sur la véritable portée d’excuses imposées judiciairement. À titre d’exemple, la Cour supérieure a déjà refusé d’ordonner à l’auteur de propos diffamatoires de transmettre une lettre d’excuses à la victime, la Cour estimant notamment qu’une telle mesure n’était pas appropriée dans la mesure où l’auteur ne croyait pas en un tel « acte de contrition ». Dans cette affaire, le tribunal s’est également questionné sur l’opportunité de rendre une telle ordonnance en s’appuyant sur une décision rendue par la Cour d’appel où celle-ci avait soulevé des doutes sur la légitimité d’une telle mesure en s’interrogeant notamment sur la possibilité pour un contrevenant de « reconnaître un comportement qu'il nie avoir exercé » . Ces préoccupations ont également été soulevées par d’autres tribunaux dans différentes provinces canadiennes . 

Dans certains cas, les tribunaux québécois ont également été d’avis que la simple publication du jugement avait pour effet d’atténuer la nécessité de la publication d’excuses, les décisions rendues par les tribunaux étant, sous réserve d’exception, publiques .

Hormis les enjeux relatifs à l’efficacité d’une ordonnance contraignant une partie à présenter des excuses et à l’absence de texte législatif l’autorisant expressément, cette question soulève également des enjeux en matière de liberté d’expression, un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. Effectivement, un examen de la jurisprudence récente révèle que les tribunaux tendent à conclure qu’ordonner à une partie de présenter des excuses porte atteinte à ce droit lorsque l’auteur des propos ne s’y prête pas volontairement .

Finalement, en l’absence d’une proposition de texte clair, il semble également difficile pour un tribunal d’émettre une ordonnance exigeant la publication ou la rédaction d’une lettre d’excuses, une ordonnance devant être suffisamment précise afin d’être susceptible d’exécution. La Cour supérieure a ainsi déjà refusé d’ordonner des excuses notamment en l’absence d’une suggestion de texte à ce sujet, celle-ci concluant que le libellé devait « être soumise au débat contradictoire ou, mieux, faire l’objet d’une entente entre les parties » et qu’il ne lui appartenait pas de le faire « dans le secret de son libéré » .

Notons toutefois que dans certaines circonstances, les tribunaux ont accepté d’ordonner la formulation d’excuses en faveur d’une partie lésée. À titre d’exemple, dans une affaire rendue en 2019 où la Cour supérieure était saisie d’une action en diffamation portant sur des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux dont le contenu s’était avéré mensonger et injurieux, la Cour a ordonné à la partie responsable de leur diffusion de s’excuser sur différents réseaux sociaux en précisant notamment que les vidéos ne correspondaient pas à la réalité et étaient diffamatoires . Dans un autre cas moins récent, la Cour supérieure avait considéré qu’il était justifié d’ordonner la rédaction d’une lettre d’excuses et son affichage dans un lieu visible, en raison de la gravité des propos tenus et de la nécessité d’inciter l’auteur à adopter une attitude plus mesurée à l’avenir. De même, la Cour a déjà imposé la publication d’une lettre d’excuses, mais uniquement dans l’éventualité où la partie fautive réactivait le site internet ou tout autre site similaire sur lequel elle avait tenu des propos diffamatoires.

Il convient de souligner que de telles ordonnances semblent peu fréquentes dans la jurisprudence récente. En effet, les tribunaux paraissent privilégier à titre de mesure réparatrice l’octroi de dommages-intérêts de même que l’émission d’ordonnances visant à faire cesser les propos diffamatoires ou à retirer le contenu fautif. Ces mesures demeurent toutefois tributaires des conclusions formulées par la partie demanderesse dans ses procédures judiciaires.

Ainsi, en matière de diffamation, la publication d’excuses ne sera généralement pas la solution juridique qui s’impose compte tenu des enjeux qu’elle soulève. La partie qui souhaite emprunter cette voie devra être prête à affronter ces difficultés, notamment en rédigeant des conclusions claires dans le cadre de ses procédures judiciaires. Quoi qu’il en soit, d’autres recours demeurent à sa disposition, tels que l’émission de différentes ordonnances visant à faire cesser la conduite fautive, que ce soit à l’issue d’une audition sur le fond ou, au besoin, dès le stade préliminaire.

Pour toute question, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe de litige qui se fera un plaisir de vous conseiller.