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Sommaire exécutifs
Dec 23, 2025
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Dans une décision récente, la Cour d’appel du Québec rappelle que la fin des travaux ne peut avoir lieu que « lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir à l’usage auquel on le destine », ce qui implique nécessairement que les travaux prévus aux plans et devis aient d’abord été réalisés et que l’ouvrage soit prêt à l’usage pour lequel il était destiné. Dans cette affaire, un entrepreneur soutenait pouvoir échapper à sa responsabilité en raison de l’expiration alléguée du délai de prescription et de la non-application du régime de la garantie contre la perte de l’ouvrage. Comme la preuve a plutôt démontré que l’ouvrage était affecté de problématiques l’empêchant d’être utilisé aux fins qui lui étaient destinées, la Cour d’appel a rejeté ces arguments. Avant de se pencher sur l’analyse faite par la Cour, il importe de revenir d’abord sur la notion de fin des travaux.
La majorité des intervenants œuvrant dans le secteur de la construction au Québec sont familiers avec la notion de « fin des travaux », celle-ci étant centrale aux recours disponibles aux parties à un contrat d’entreprise. Les tribunaux ont régulièrement à se pencher sur cette notion qui, par sa nature, est hautement factuelle et nécessite donc un examen attentif des faits dans chaque affaire.
La fin des travaux signifie que le contrat est intégralement exécuté et que l’ouvrage construit est en état de servir pour l’usage auquel il est destiné. En pratique, cela signifie que l’ensemble des travaux prévus aux plans et devis doivent être complétés : l’inexécution de certains travaux, même minimes, a pour effet de retarder la fin des travaux. S’il est plutôt question de travaux correctifs, notamment en raison de malfaçons, ceux-ci n’auront pas nécessairement pour effet de retarder la date de fin des travaux. Contrairement à la suspension temporaire des travaux, l’abandon définitive du chantier par l’entrepreneur a pour effet de provoquer la fin des travaux.
La notion de fin des travaux ne doit pas être confondue avec la réception de l’ouvrage, soit l’acte volontaire selon lequel un client accepte l’ouvrage, avec ou sans réserve. Concrètement, la réception d’un ouvrage sera parfois représentée par l’émission d’un certificat d’achèvement substantiel ou de réception provisoire par les professionnels mandatés par le client. Il est possible que la date de réception de l’ouvrage et de la fin des travaux coïncide, puisque le client est tenu de recevoir l’ouvrage à la fin des travaux. Cependant, il faut se garder de confondre ces deux notions, puisque les tribunaux affirment fréquemment qu’elles ne sont pas liées par l’émission d’un certificat émis par un professionnel, celui-ci ne signifiant pas toujours que tous les travaux prévus sont terminés. La réception de l’ouvrage, qui permet généralement à l’entrepreneur d’obtenir le paiement de la retenue contractuelle, est l’un des facteurs permettant de déterminer la date de fin des travaux, mais n’est pas à elle seule déterminante.
La date de fin des travaux a une incidence directe sur le point de départ de la garantie pour la perte de l’ouvrage, laquelle instaure une présomption de responsabilité à l’encontre de l’entrepreneur et des professionnels qui ont dirigé ou surveillé les travaux en cas de perte de l’ouvrage survenue dans les 5 ans après la fin des travaux.
De plus, dans le cadre d’un contrat d’entreprise, le délai de prescription ne commence à courir entre les parties qu’à compter de la fin des travaux. La fin des travaux constitue par conséquent le point de départ du recours du client à l’encontre de l’entrepreneur pour les malfaçons apparentes qui auraient fait l’objet d’une réserve lors de la réception de l’ouvrage.
Finalement, la date de fin des travaux est également déterminante pour la publication d’une hypothèque légale de la construction, celle-ci devant faire l’objet d’une publication au plus tard dans les 30 jours qui suivent la fin des travaux.
Récemment, la Cour d’appel a eu l’occasion de se pencher de nouveau sur les principes applicables à la fin des travaux dans le cadre d’une affaire judiciarisée pendant plus d’une décennie découlant d’un contrat de conception-construction intervenu en 2006 entre Entrepôt International Québec (« Entrepôt ») et l’entrepreneur Syscomax inc. (« Syscomax ») pour la construction d’un entrepôt frigorifique.
Le contrat incluait notamment l’installation d’un système de protection incendie, laquelle avait été confiée par Syscomax à un sous-traitant ayant à son tour délégué la mise en place des détecteurs et des panneaux d’alarme à Tyco International du Canada ltée (« Tyco »). Dès 2007, soit avant l’achèvement des travaux, des problèmes récurrents au niveau des détecteurs du système de protection incendie, dont la responsabilité incombait à Tyco, ont rapidement été constatés. Tyco n’a toutefois pas été en mesure d’identifier la cause du dysfonctionnement de sorte qu’Entrepôt a notamment été contrainte de mettre le système en mode silencieux afin d’éviter des bris causés par le gel.
Malgré tout, en juillet 2008, Entrepôt a accepté de libérer les retenues contractuelles qu’elle exerçait à l’encontre de Syscomax en contrepartie de son engagement à parachever l’installation du système sans frais supplémentaires. Or, Syscomax n’est jamais parvenue à identifier une solution permettant de régler les problématiques affectant le système. Le 1er août 2012, Syscomax avise Entrepôt qu’elle ne donnera pas suite à son engagement de terminer les travaux et qu’elle abandonne les travaux au motif que les réclamations d’Entrepôt sont prescrites, le certificat de fin des travaux ayant été délivré le 17 juillet 2008.
Les experts mandatés par Entrepôt en viennent subséquemment à la conclusion que le système de protection incendie doit être entièrement remplacé. Un recours judiciaire est entrepris en février 2013 par Entrepôt notamment à l’encontre de Syscomax et de Tyco.
Malgré les différents arguments soulevés devant la Cour supérieure et la Cour d’appel, ces dernières en sont toutes deux arrivées à la conclusion que la responsabilité de Syscomax et de Tyco devait être retenue de façon solidaire sur la base du régime de la garantie pour la perte de l’ouvrage.
D’une part, celles-ci ont rejeté l’argument à l’effet que le recours d’Entrepôt serait prescrit, puisqu’introduit plus de 3 ans après la fin des travaux, et ont plutôt déterminé que la fin des travaux était survenue le lendemain de l’abandon des travaux par Syscomax, soit le 2 août 2012. Ainsi, le recours entrepris en 2013 n’était pas prescrit.
En effet, bien que les architectes aient délivré un certificat de fin des travaux le 17 juillet 2008 et que des paiements aient été effectués par Entrepôt, ces éléments n’ont pas été jugés à eux seuls déterminants, les tribunaux n’étant pas liés par des documents de fin de travaux émis par des professionnels. Il a plutôt été retenu que Tyco n’avait pas mené à terme les travaux d’installation du système de protection incendie puisque ce dernier n’avait jamais rempli sa fonction d’assurer la sécurité du public et des occupants du bâtiment. De plus, l’achèvement du système était tributaire de la réalisation d’une inspection et de l’obtention d’une approbation, lesquelles n’avaient pas été réalisées. L’ensemble des travaux n’ayant pas été exécutés et l’ouvrage n’étant pas en état de servir pour l’usage auquel il était destiné, autant la Cour supérieure que la Cour d’appel ont conclu que la fin des travaux ne pouvait être fixée avant le 2 août 2012, considérant que les promesses de Syscomax quant au parachèvement du système ont eu pour effet de suspendre les travaux.
D’autre part, la responsabilité de Syscomax et de Tyco a été retenue sur la base du régime pour la perte de l’ouvrage, celui-ci englobant la menace de perte potentielle de l’ouvrage de même que la défectuosité grave entraînant des inconvénients sérieux et rendant l’ouvrage impropre à son usage. À l’automne 2012, les experts mandatés par Entrepôt avaient effectivement conclu que le système était inopérant et qu’il devait être complètement remplacé. La perte du système constatée en octobre 2012 est ainsi survenue dans les cinq ans de la fin des travaux fixée au 2 août 2012.
La Cour d’appel a également conclu qu’il était erroné de soutenir que l’abandon du chantier par un entrepreneur pouvait faire échec à l’application du régime pour la perte de l’ouvrage au motif qu’il n’y aurait jamais eu réception de l’ouvrage, une telle prétention étant incompatible avec ledit régime ayant pour objet la protection de la sécurité du public. Celle-ci a plutôt confirmé la conclusion du juge de première instance à l’effet que la réception de l’ouvrage était survenue au même moment que la fin des travaux, soit suivant l’abandon du chantier par l’entrepreneur.
En somme, ni Syscomax ni Tyco n’ont réussi à s’exonérer de la présomption de faute pesant contre elles en vertu du régime de la garantie pour la perte de l’ouvrage dont les moyens d’exonération sont, rappelons-le, assez limités. Elles ont été condamnées solidairement à payer à Entrepôt plus de 1,5M $ en lien avec les coûts de remplacement du système défectueux et les pertes financières subies.
Ainsi, bien que des procédures judiciaires aient été intentées près de 6 ans après la constatation de la problématique par toutes les parties, l’entrepreneur a malgré tout été tenu responsable. Rappelons à ce sujet que la connaissance des enjeux affectant l’ouvrage par le client n’est pas pertinente dans le cadre d’une réclamation fondée sous pour perte de l’ouvrage.
À retenir
Cette affaire met en lumière les principes déjà bien connus en matière de détermination de la date de fin des travaux et rappelle qu’il s’agit d’une question aux multiples facettes et qui requiert une étude attentive des faits de chaque projet. Considérant les impacts importants de la date de fin des travaux, la prudence est de mise pour l’ensemble des intervenants avant de conclure hâtivement que la fin des travaux est survenue ou suspendue.